La campagne des commandos américains

Le 28 août 2012

Un groupe de commandos marines américains, oscillant entre Républicains et Tea Party, ont diffusé un documentaire très à charge contre Obama. Il "devrait fermer sa gueule" assènent-ils. Un autre commando publiera prochainement son récit du raid contre Ben Laden. Ces troupes habituées à la discrétion entrent en campagne, placée sous le signe des vraies et des fausses fuites.

Entrainement des Navy Seals (2010) (cc)

D’ordinaire, ils sont connus pour leur discrétion. Les commandos marine américains des Navy SEALs sont aujourd’hui sous le feu des projecteurs. Obama en a fait le pivot de sa guerre contre le terrorisme. Contrairement à son prédécesseur, le président démocrate a tout fait pour accélérer le retrait des troupes engagées dans de vastes opérations extérieures. Il a préféré les frappes de drones menées clandestinement par la CIA et les actions ciblées de ses troupes d’élite. Ainsi fut exécuté par les Navy SEALs le raid victorieux contre Oussama Ben Laden, le 2 mai 2011.

À trois mois de l’élection présidentielle, voilà que la clé de voûte de la lutte contre le terrorisme est ébranlée. Tous les ingrédients sont réunis. Prises de parole incontrôlées des commandos, répliques du commandement, provocation d’Al-Qaïda. Le tout créant un étonnant brouhaha de campagne, ouvertement alimenté par les Républicains et discrètement nourri par les adeptes des Tea Party.

“Indignes révélations”

L’élection présidentielle du 6 novembre approchant, les épisodes se multiplient. Le mois d’août en a connu deux, et non des moindres. Une vidéo de 20 minutes est mise en ligne le 13 août, Dishonorable disclosures (“Indignes révélations”), par l’association de vétérans OpSec, pour Operational Security. Présenté comme non-partisan, le vrai-faux documentaire met gravement Obama en accusation : par ses révélations directes (annonce du raid contre Ben Laden) et indirectes supposées sur Stuxnet et le programme clandestin de frappes de drones (Kill List), il aurait mis en danger la vie de forces spéciales, et la sécurité nationale américaine.

Les révélations sur le programme Olympic Games, qui a donné naissance aux logiciels malveillants Stuxnet et Flame, et sur la Kill List sont parues début juin dans le New York Times. Pour les auteurs, Obama a organisé les fuites, sans aucun doute : “L’administation a fait volontairement fuiter l’existence de Stuxnet, permettant ainsi à l’ennemi d’en savoir plus sur nos opérations et nos secrets.” Aucune des personnes interrogées – agents de la CIA en retraite, anciens des forces spéciales et même un général – ne pardonne à Obama d’avoir ainsi sacrifié ces victoires militaires sur l’autel de sa réussite politique. De concert, ils assènent, à l’instar du Général Paul Vellely :

Avec tout le respect qui vous est dû, Monsieur le Président, nous avons besoin que vous gardiez vos lèvres closes et que vous la fermiez quand il s’agit “d’operational security”. Comme disent les SEALs, nous agissons, nous ne parlons pas.

La vidéo, léchée sur la forme, rappelle de plus anciens griefs. La réalisatrice Kathryn Bigelow a eu accès à des documents classifiés pour sa fiction retraçant la traque de Ben Laden. Un film annoncé en salles après l’élection du 6 novembre.

OpSec ne survole pas autant les clivages politiques qu’il le prétend. Selon le New York Times, le groupe partage les mêmes locaux qu’une entreprise de consulting républicaine, le Trailblazer Group à Alexandria, en Virginie. Le porte-parole des SEALs effarouchés d’OpSec n’est autre que Chad Kolton, ancien de l’équipe contre-terrorisme de Bush, qui a invoqué des dispositions légales pour ne pas révéler les sources de financement du groupe. Quant aux participants, certains sont très marqués politiquement. Ainsi de Benjamin “Ben” Smith, figure connue du mouvement des Tea Party, qui n’a pas de mot assez dur – ni d’expression assez théâtrale – contre Obama : “Monsieur le Président, vous n’avez pas tué Oussama Ben Laden, l’Amérique l’a fait.”

Servir le Président

La prise de parole impromptue d’officiers n’a pas été du goût du commandement. Dans un courrier adressé à ses troupes que s’est procuré Foreign Policy, l’amiral à la tête du Special Operation Command (Socom), William McRaven bat le rappel.

Je suis inquiet par cette tendance grandissante à utiliser la marque des opérations spéciales, les SEALs, symboles et noms, dans des campagnes politiques ou visant des intérêts spécifiques. [Le Special Operation Command] ne soutient aucun point de vue politique, aucune opinion ou intérêt spécifique. Notre promesse au peuple américain en tant que militaire est d’être non-partisan, apolitique et de servir le Président des États-Unis sans égard pour son parti politique.

L’amiral a lui-même été l’objet de critiques après avoir accordé fin juillet une interview à CNN dans laquelle il évoquait l’opération contre Ben Laden. Il avait rendu un hommage appuyé à Obama et à son équipe, “qui avaient agi de façon formidable du début à la fin”.

Un Navy SEAL a cru bon de raconter lui aussi le raid contre Ben Laden. En détails. Sur CNN, l’amiral McRaven s’autocensurait autant que faire ce pouvait, déclenchant les rires du public. Le membre de la Team 6 qui a participé au raid contre Ben Laden va lui publier son témoignage in extenso, le 11 septembre. “No Easy Day: The Firsthand Account of the Mission That Killed Osama bin Laden” (“Rien n’est facile : le compte-rendu de première main de la mission qui a tué Oussama Ben Laden”) est écrit sous pseudo, Mark Owen, et les noms des protagonistes ont été modifiés. Sans grand succès. Quelques jours après l’annonce de sa sortie, Fox News publie le véritable nom de l’auteur, Matt Bissonnette selon “plusieurs sources” de la chaine d’information proche des conservateurs.

Les réactions de Navy SEALs, anonymes, ne sont pas tendres à l’égard de celui que certains appellent “un traitre”. Le porte-parole du Socom, le colonel Tim Nye, a dit ses inquiétudes à Fox News : “[il] s’est mis en danger tout seul”. Il a fallu deux jours. Un site officiel d’Al Qaida a publié vendredi une photographie de Matt Bissonnette avec son nom et cette légende :

Le chien qui a tué le cheikh martyr Oussama Ben Laden.

L’auteur du livre pourrait aussi être poursuivi, comme l’a indiqué le porte-parole de la Navy : “Tout membre du service qui révèle des informations classifiées ou sensibles peut être poursuivi. Cette disposition ne prend pas fin après le départ du service.” D’autant que l’administration Obama est plus que familière des poursuites contre les bavards, lanceurs d’alerte ou whistleblower en langue originale. Six fonctionnaires ont été poursuivis pendant son mandat placé du début à la fin sous le signe des fuites (“leaks”) subies, orchestrées ou combattues. Dès juin, le procureur général avait demandé qu’une enquête soit ouverte contre OpSec.


Photo via la galerie de HonorableGerman [CC-by]

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