Internet après la fin de Megaupload

La coupure de Megaupload a provoqué un torrent de réactions. Le problème n'est pas la disparition du site en lui-même. Il se niche ailleurs : dans la brutalité de la procédure américaine, dans ses fondements juridiques et dans les questions que cette fermeture soulève en termes de partage des oeuvres culturelles sur Internet.

Megaupload en une des grands quotidiens français : Le Monde, Libération, Le Figaro. Dans les JT nationaux de TF1, de France 2. Drôle de consécration pour un site de partage de fichiers, certes consulté par des millions d’internautes (de 7 à 15 en France par mois, selon les sources), mais jusque là cantonné aux articles des seuls sites d’info spécialisés. Sa fermeture, opérée dans la nuit du 19 au 20 janvier par le FBI, en a officialisé la popularité. Unanimité médiatique : c’est un “coup de tonnerre dans le monde de l’Internet.” Mais, passé l’orage, de quoi Megaupload est-il le nom ?

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L’effroi est moins à chercher du côté de Megaupload que de sa fermeture spectaculaire. Le site en lui-même n’a pas bénéficié d’un soutien massif. La désolation de millions d’habitués de la plate-forme, inquiets de ne plus pouvoir consulter séries, musique et autres produits culturels aussi aisément sur Internet, n’a pas donné suite à un mouvement d’adhésion. Les Anonymous ont bien riposté en réponse aux autorités américaines (“Le FBI n’a pas pensé qu’il pouvait s’en tirer comme ça, non ?”), l’ampleur du mouvement de soutien est bien moindre que celui qui avait accompagné, en son temps, WikiLeaks.

Benjamin Bayart, expert en télécommunications et défenseur de la liberté sur Internet, relativise : “faire tomber hadopi.fr, même un gamin avec un lance-pierres y arrive. Faire tomber Paypal en revanche [NDLR : le site de paiement en ligne avait été l’objet d’attaques après avoir stoppé toute collaboration avec WikiLeaks], ce n’est pas du même niveau. Au même titre que de nombreux militants en faveur des libertés sur Internet, qui dénoncent depuis longtemps les pratiques illégales et mafieuses de ce genre de plates-formes sur Internet, il souligne même la “très bonne nouvelle” que constitue la fermeture de Megaupload:

Je ne suis même pas certain d’être en désaccord avec la règle : Megaupload était objectivement mafieux. C’est une malfaisance pour la société, la police intervient, tant mieux. Par contre, je m’interroge sur les moyens déployés : pour fermer Megaupload, les autorités américaines ont mis en oeuvre des moyens supérieurs à ceux pour fermer Guantanamo. Le téléchargement illégal est donc jugé supérieur à la torture.

Le dispositif plus que la cible : voilà ce qui inquiète les observateurs attentifs du réseau. Du jour au lendemain, le site a disparu des cartes Internet, sous l’effet d’une décision unilatérale des autorités américaines. Et le couperet est tombé avec une simplicité déconcertante.

L’action, menée en collaboration avec une dizaine de pays à travers le monde, a justifié un communiqué de la Présidence française. Publié tard dans la nuit, la rapidité de la réaction officielle, ainsi que son ton solennel et autoritaire, ont surpris. Certains y ont même vu une erreur politique de la part de Nicolas Sarkozy. Ce qui est sûr, c’est que le chef de l’État a donné une valeur “impérieuse” à la fermeture d’un site bafouant le “financement des industries culturelles dans leur ensemble”. Officialisant ainsi, au même titre que les États-Unis, l’importance de la défense du lobby culturel sur Internet. En ce sens, la coupure de Megaupload peut être vue comme une nouvelle légitimation politique, spectaculaire et sans précédent, des intérêts du monde culturel face à ceux du réseau.

En France, le mouvement de Nicolas Sarkozy est éminemment électoraliste. Manoeuvre du pôle Culture de l’Élysée visant à répondre aux positions du candidat socialiste à la présidentielle, François Hollande, qui affirmait la veille face à des journalistes vouloir “la suppression d’Hadopi”, l’organe en charge de la protection des oeuvres sur Internet. Manoeuvre qui a forcé l’ensemble des candidats à considérer l’affaire Megaupload.

Les clés du net

La coupure brutale, mondiale et unilatérale de cette plate-forme pose une autre question : les États-Unis ont-ils les clés d’Internet ?

Le réseau, que l’on présente comme si difficile à atteindre, a ici été amputé d’une constellation de sites représentant 4% du trafic. Megaupload était l’un des 100 sites les plus consultés au monde. Tout sauf une broutille. Pour Benjamin Bayart, si la coupure est nette et facile, c’est en raison du caractère centralisé de Megaupload :

Megaupload était relativement facile à atteindre : le FBI a débranché tous les serveurs dans des pays où ils disposaient de bons accords. Même si le site avait des serveurs cache [NDLR : des serveurs qui rapprochent les contenus des utilisateurs] sur toute la planète et y compris en France, il suffit de couper la tête pour que ces serveurs ne servent plus à rien.

Au-delà de son caractère centralisé, sa fermeture relève néanmoins aussi de la “bonne volonté des pays”. “Les États-Unis sont intervenus sur les noms de domaines pour neutraliser ce site. Il suffirait de repérer les zones régies par les Etats-Unis et d’inciter les entreprises à aller sur d’autres zones pour leur noms de domaine. Et veiller à ce que l’Icann [NDLR: en charge de la gestion des noms de domaine] n’appliquent pas le droit américain du copyright sur toutes ces zones.”

Megaupload n’est donc pas l’hydre redoutable présentée dans les médias. D’autres sites en revanche, sont beaucoup plus redoutables pour les industries culturelles. “On peut fermer Megaupload. On ne peut pas fermer BitTorent”, poursuit Benjamin Bayart, évoquant une plate-forme populaire d’échange en peer-to-peer. “Pour couper BitTorent, il faudrait intervenir auprès de chacun des utilisateurs connectés. Et donc avoir plus d’agents fédéraux que d’internautes. Ça ne peut pas marcher. Et c’est injustifiable.”

C’est en ce sens que la Quadrature du Net, collectif militant pour la défense des droits sur Internet, voit en Megaupload la “créature” des “industries du copyright”. Un constat partagé par Benjamin Bayart : “cette mafia est le produit des ayant droits. Pas celui du réseau. Ils ont joué avec le réseau, voilà ce qu’ils ont obtenu.” A l’inverse du protocole peer-to-peer, Megaupload et consorts seraient ainsi des aberrations du net, centralisées et donc plus faciles à neutraliser pour les ayant droits. Même s’ils se reproduisent, ces monstres réticulaires sont toujours plus repérables et arrêtables que des millions d’individus interconnectés.

Pas besoin de MegaLoi

Ce qui pose la question des instruments juridiques utilisés pour lutter contre la diffusion illégale d’oeuvres protégées sur le réseau. Pour fermer Megaupload, les autorités américaines n’ont pas fait appel à des lois récentes. A peine font-elles référence au Digital Millenium Copyright Act qui date de 1998.

”On repasse à des moyens plus classiques d’action”, explique Cédric Manara, professeur de droit à l’EDHEC. Dans le cas Megaupload, les autorités s’appuient en particulier sur des procédures relatives au blanchiment d’argent, ou sur l’existence d’une Mega Conspiracy , conspiration qui correspond à une réalité dans le droit américain. Il reviendra à une cour de justice de se prononcer sur la validité de telles accusations.

En droit français, les ayant droits peuvent aussi s’appuyer sur un dispositif existant, l’article L 336-2 du code de la propriété intellectuelle, qui leur permet de demander au juge du tribunal de grande instance de mettre en place toute mesure appropriée pour faire cesser une atteinte à leurs droits. C’est sur la base de cet article qu’a récemment été décidé la fermeture du site de streaming Allostreaming.

Pourtant, dans le même temps, la législation sur les droits d’auteur à l’heure d’Internet continue d’enfler et est présentée comme terriblement complexe et difficile à mettre en oeuvre. Aux États-Unis, note Cédric Manara, sept nouvelles lois répressives ont été mises en place pour protéger les ayant droits au cours des quinze dernières années. Dernier exemple en date de cette inflation législative, les projets de lois Pipa au Sénat et Sopa à la Chambre des représentants, qui ont été reportés sine die. En France, l’Hadopi suscite toujours autant d’interrogation quant à son efficacité.

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Encore une question d’architecture des sites explique Benjamin Bayart : “il est très compliqué d’agir sur Internet uniquement quand c’est décentralisé.”

La vulnérabilité de sites centralisés tel que Megaupload pourrait encourager un retour à l’échange de fichiers en peer-to-peer. La guerre entamée depuis les années 1990 contre ce protocole a sans doute provoqué une modification des usages vers le téléchargement direct ou le streaming. Quand Nicolas Sarkozy se félicitait d’une baisse de 35% des échanges de fichiers illégaux en France, Megaupload enregistrait une croissance de ses utilisateurs similaires. Et démontrait simultanément une autre réalité : les internautes, pressés par la peur du gendarme fliquant le peer-to-peer, se sont mis à payer pour accéder à des oeuvres sur Internet. En 5 ans, Megaupload a engrangé 150 millions de dollars grâce à ses comptes premium, facturés entre 10 et 80 euros.

Reste à faire en sorte que ces revenus potentiels reviennent aujourd’hui aux créateurs. C’est l’enjeu de la mise en place d’une offre légale structurée et efficace. Mais là encore, la partie est loin d’être gagnée. Si elle existe pour la musique, avec Itunes, Spotify ou Deezer, pour ne citer qu’eux, elle demeure lacunaire en matière de films et de séries. Sur Megaupload, il était possible de regarder une émission le lendemain de sa diffusion aux Etats-Unis. Pour légaliser cette éventualité, les ayant droits devront accepter de revoir la chronologie traditionnelle des médias, ou accepter la mise en oeuvre d’autres mécanismes de rémunération, comme la licence globale.

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