Pourquoi remettons-nous souvent les choses au lendemain?

Le 16 janvier 2011

Procrastiner c'est remettre systématiquement les choses au lendemain. Une habitude répandue souvent associée à la paresse et à la désorganisation, alors qu’à la vérité, elle est alimentée par notre faiblesse à gérer nos impulsions.

Si vous jetez un oeil à la file d’attente des films que vous projetez de voir (comme c’est le cas sur un service de VOD ou de prêt de DVD comme Netflix), vous constaterez qu’elle est constituée pour beaucoup de documentaires passionnants et de films d’auteurs, plus que des derniers blockbusters (qui demeurent toujours parmi les plus loués, comme le montre l’étonnante cartographie des locations de Netflix). Selon une étude menée en 1999 [pdf] par Daniel Read, George Loewenstein et Shoban Kalyanaraman, portant justement sur notre capacité à choisir entre des films mémorables et exigeants ou amusants et oubliables, nous avons massivement tendance à choisir les seconds au détriment des premiers. Et des études plus récentes insistent aussi sur notre inconsistance en la matière.

On a tous tendance à dire qu’on préfère les fruits, mais lorsqu’une tranche de gâteau se présente à côté d’une pomme, c’est, statistiquement, vers le gâteau que va le plus facilement se diriger notre main. C’est pourquoi les files d’attente des films que l’on doit voir sont pleines de bons films.

Les psychologues parlent ainsi du “biais du présent” pour caractériser le fait que nous sommes bien souvent incapables de comprendre que ce que nous voulons à long terme et ce que nous voulons maintenant ne sont pas la même chose. Le biais du présent explique pourquoi vous achetez des légumes et des fruits et que vous oubliez de les manger.

Alors qu’on prend de bonnes résolutions, la procrastination nous conduit à agir autrement. C’est pourquoi on attend la dernière minute pour acheter les cadeaux de Noël, qu’on oublie de s’inscrire pour aller voter, qu’on préfère jouer encore un petit peu au jeu vidéo alors qu’on a un devoir à rendre demain matin, etc.

Vous pouvez essayer de combattre ce penchant naturel. Acheter un agenda. Rédiger une liste de tâche… Vous pouvez lire tous les livres que vous voulez pour vous détacher de vos mauvaises habitudes… Vous pouvez devenir un drogué de la productivité entouré d’instruments (comme RescueTime) pour vous rendre la vie plus efficace, ces outils ne vous serviront à rien, parce que le problème ne repose pas sur la gestion du temps, mais sur le conflit qui se déroule dans notre cerveau.

Tout serait dans la maîtrise de soi

Dans les années 60, Walter Mischel a mené des expériences à l’université de Stanford sur les conflits de négociation des enfants. L’expérience est bien connue. Les enfants étaient assis devant une table avec des guimauves devant eux, ils pouvaient les manger tout de suite ou attendre que le chercheur revienne, auquel cas, il leur offrirait le double de bonbons.

Quand Walter Mischel a commencé à analyser les résultats, il a remarqué que les enfants qui avaient le plus vite saisi les bonbons étaient plus susceptibles d’avoir des problèmes de comportements, qu’ils ont obtenu de moins bons résultats scolaires que les autres, explique Jonah Lehrer dans l’excellent article qu’il consacra au New Yorker sur le “secret de la maîtrise de soi”.

The Marshmallow Test from Igniter Media on Vimeo.
Igniter Media a reproduit le test du Marshmallow, pour en faire une courte vidéo comique.

30 % des enfants ont réussi à attendre le retour du chercheur, 10 à 15 minutes plus tard. Bien qu’également soumis à la tentation, ils avaient eux trouvé une façon de résister.

Walter Mischel s’est rendu compte qu’il y avait un lien entre la performance scolaire des enfants et leur capacité à se contrôler. En 1981, il a recontacté 653 enfants qui avaient participé à l’expérience originelle, interrogeant leur capacité à planifier, à faire face à des problèmes à s’entendre avec leurs pairs. Et Mischel a remarqué que les enfants qui avaient cédé rapidement étaient plus susceptibles d’avoir des problèmes de comportement que les autres.

Pour Walter Mischel, l’intelligence tient en grande partie de la maîtrise de soi. Pour comprendre pourquoi certains enfants ne peuvent attendre et d’autres réussissent à se contrôler, il faut arriver à penser comme ils pensent. L’expérience de Mischel a montré que la maîtrise de soi dépend d’une compétence essentielle : la “répartition stratégique de l’attention”. C’est-à-dire qu’au lieu d’être obsédés par la guimauve qu’ils avaient sous les yeux (”le stimulus chaud”), les enfants ont essayé de détourner leur attention en se couvrant les yeux, en jouant à cache-cache sous le bureau ou en chantant des chansons.

Leur désir n’a pas été vaincu, il a simplement été oublié.

La distraction comme solution

La clef est d’éviter de penser à la guimauve. Chez les adultes, cette compétence est souvent désignée comme la “métacognition” ou la “réflexion sur la réflexion”, permettant aux gens de déjouer leurs lacunes. Les enfants qui avaient une idée du fonctionnement de l’auto-contrôle ont été mieux à même de retarder la gratification. Mais certains enfants pensaient que la meilleure façon de résister était de fixer la guimauve, ce qui est une idée terriblement insoutenable même pour le dernier des gourmands.

Pour Mischel, le test de la guimauve est un test prédictif puissant. Si on est sensible aux émotions chaudes, alors il faudra faire de manière à mettre plus d’argent de côté pour sa retraite que les autres par exemple. Des travaux ultérieurs ont montré que les différences comportementales entre enfants étaient observables déjà chez des enfants de 19 mois. Alors que certains enfants éclataient en larmes, s’accrochaient à la porte face au stress de l’expérience, d’autres surmontaient leur anxiété, se distrayant, jouant avec des jouets. Les enfants qui avaient pleuré étaient aussi ceux qui, vers 5 ans, avaient également du mal à résister à la tentation de la guimauve.

Pour Mischel, notre capacité à l’auto-contrôle est autant génétique que sociale. Mais le test a montré que la capacité d’enfants à l’auto-contrôle issus de familles à faible revenu du Bronx était moindre que celle d’enfants de Palo Alto.

Quand vous grandissez pauvre, vous n’avez pas l’habitude de retarder votre rétribution. Et si vous ne pratiquez pas, vous ne saurez pas comment distraire votre attention, vous ne saurez pas élaborer les meilleures stratégies.

Les gens apprennent à utiliser leur esprit, comme ils apprennent à utiliser un ordinateur : par essais et erreurs.

Mais cela s’apprend très simplement et très vite. En donnant comme conseil aux enfants d’imaginer un cadre autour des bonbons, les résultats sont devenus très vite spectaculaires.La seule façon de vaincre nos instincts c’est de les éviter, de prêter attention à autre chose. Nous disons que c’est de la volonté, mais cela n’a rien à voir avec la volonté”, explique John Jonides, un neuroscientifique de l’université du Michigan.

Une pratique quotidienne

Mischel prépare une étude à grande échelle impliquant des centaines d’écoliers pour voir si les compétences de maîtrise de soi peuvent être enseignées pour qu’elles persistent à long terme. En d’autres termes, il veut apprendre aux enfants que les trucs ne fonctionnent pas que pendant l’expérience, mais qu’ils puissent apprendre à les appliquer à la maison, au moment de décider entre les devoirs et télévision par exemple.

Pour Angela Lee Duckworth, professeur de psychologie à l’université de Pennsylvanie et responsable de ce programme, essayer d’enseigner l’algèbre à un adolescent qui n’a pas la maîtrise de soi est un exercice assez futile. Selon elle, la capacité à retarder une gratification serait un facteur prédictif de comportement plus efficace que le QI. Si l’intelligence est importante, elle l’est moins que la maîtrise de soi.

Walter Mischel sait qu’il ne suffit pas d’enseigner aux enfants quelques tours, le véritable défi est de transformer ces trucs en habitudes, ce qui demande souvent des années de pratiques assidues.

C’est là que les parents sont importants, reconnaît Mischel. Ont-ils mis en place des rituels qui vous apprennent à retarder vos envies sur une base quotidienne ? Vous encouragent-ils à attendre ? Font-ils de manière à ce que cette attente vaille la peine ?

Pour Mischel, les plus banales routines de l’enfance (comme ne pas grignoter avant le diner, d’attendre le matin de Noël pour déballer les cadeaux…) sont des exercices d’entraînement cognitifs en catimini, pour nous apprendre à déjouer nos désirs.

Nous ne savons pas composer avec les délais

Si on offre à quelqu’un 50 $ maintenant ou 100 $ à la fin de l’année, il va choisir de prendre les 50 $. Si on offre 50 $ dans 5 ans et 100 $ dans 6 ans, temporellement l’écart n’a pas changé, mais il semble pourtant plus naturel d’attendre un an de plus, du moment qu’on aura déjà attendu longtemps. Pourtant, si nous n’étions qu’un animal raisonnable, nous choisirions toujours le montant le plus élevé, or nous avons plutôt tendance à nous saisir de ce dont on peut profiter au plus vite, rappelle David McRaney. Ainsi, Twitter nous semble plus gratifiant que de faire des tâches plus difficiles (comme écrire un article) dont dépend pourtant notre salaire en fin de mois.

Quand on est forcé d’attendre, nous avons tendance à être plus rationnels. C’est ce qu’on appelle “l’actualisation hyperbolique”. Traditionnellement, les économistes considèrent que les individus optimisent une fonction d’utilité intertemporelle en actualisant les gains futurs de manière linéaire ; c’est “l’actualisation exponentielle”.

En fait, la psychologie et l’économie comportementales indiquent que les individus (mais aussi les animaux) actualisent les gains futurs de manière plutôt hyperbolique. L’actualisation hyperbolique rend possible un phénomène intéressant : l’inversion des préférences qui signifie qu’à un moment t, A est préféré à B, mais qu’à un moment t+n, B devient préféré à A, explique sur son blog Cyril Hédoin, maître de conférences en sciences économiques à l’Université de Reims.

Le meilleur moyen pour déjouer la procrastination, estime David McRaney, est de composer avec les délais. Pourtant, là encore ce n’est pas si simple. Une étude de Klaus Wertenbroch et Dan Ariely réalisée en 2002 [pdf] avait créé 3 classes d’étudiants devant rendre 3 devoirs chacune. La première devait rendre les 3 devoirs bout de 3 semaines. La seconde classe a déterminé 3 délais différents. La dernière classe devait rendre un devoir par semaine. Sans surprise, c’est la troisième classe qui a obtenu les meilleurs résultats alors que le premier groupe a eu les résultats d’ensemble les plus catastrophiques. Les étudiants sans lignes directrices ont tous tendance à remettre leurs devoirs au dernier moment.

Ces résultats suggèrent que si tout le monde a des problèmes avec la procrastination, ceux qui reconnaissent et admettent leur faiblesse, sont dans une meilleure position pour utiliser des outils disponibles capables de les aider à surmonter cette difficulté, explique Dan Ariely dans son livre (C’est (vraiment ?) moi qui décide).

La procrastination est une impulsion, comme d’acheter des bonbons à la caisse du magasin.

Pour combattre la procrastination, il faut devenir un adepte de la réflexion sur la réflexion, conclut David McRaney.

Il faut comprendre que c’est le vous qui lisez ce texte et que c’est le même vous quelque part dans le futur qui sera influencé par différents désirs et idées, un vous dans d’autres dispositions, utilisant d’autres palettes de fonctions cérébrales pour peindre la réalité.

Il faut être capable de discerner les coûts des gratifications à chaque fois que vous êtes amené à choisir. Voilà qui demeure plus facile à dire qu’à faire.

Article initialement publié sur InternetActu.

Crédits photos cc FlickR : L-T-L (Almost back), Emilie Ogez, Daniel Montesinos.

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