Les jeunes Grecs entre compromission et anarchisme

Le 17 décembre 2010

Premières victimes de la rigueur, les jeunes Grecs sont de plus en plus tentés pour se sortir de la galère, de se rapprocher du parti majoritaire, pour un trouver boulot... ou de l'anarchisme, pour trouver une cause.

Peut-on appeler ça des émeutes quand les jeunes qui manifestent rencontrent de telles difficultés sur le marché du travail ?

Le trésorier du syndicat des employés de la Banque nationale de Grèce lâche son constat avec un sourire gêné : la veille, la capitale était une nouvelle fois submergée par la révolte des jeunes Athéniens face aux mesures de rigueurs. Les images de l’agression de l’ex-ministre conservateur Costis Hadzidakis ont fait le tour du monde par petits écrans interposés. « Il s’agit plutôt d’actes désespérés… » Une réaction compréhensible de la part d’un syndicaliste… mais surprenante pour l’adhérent du parti conservateur qu’il est. Malgré la violence des dernières journées, une partie grandissante de l’opinion se range aux côtés des jeunes, victimes d’une autre forme de violence : celle du plan d’austérité qui les a frappé de plein fouet.

Obligé de plier face aux exigences des organisations internationales pour obtenir les 110 milliards d’euros d’aide, le Parlement grec a entériné mardi 14 décembre une vague de réformes d’une rigueur historique. Face à des employeurs désormais libérés de toute contrainte pour baisser les salaires et contourner les accords de branche, les Grecs ne peuvent plus compter que sur l’équivalent local du Smic (740€ brut soit 592 euros nets) et composer avec la hausse de la TVA, passée en deux ans de 6,5% à 13%. Sous le doux nom de Memorandum, ce « pacte » réserve aux moins de 24 ans une clause d’austérité supplémentaire sous la forme d’un salaire minimum à 540 bruts, soit environ 450 euros nets.

« Génération 500 euros »

« C’est un désastre », lâche dans un soupire, Natalia, 30 ans, diplômée en droit.

Nous sommes déjà épuisés, et il n’est même pas sûr que toutes ces réformes sauvent vraiment la Grèce de la faillite. Enormément de magasins ferment à cause des augmentations de taxes et du chômage… Mais si aucune activité ne subsiste, qu’allons-nous devenir ?

Après ses études et quelques stages gratifiés à hauteur de 500 euros dans des cabinets d’avocats, elle a fini par changer de voie pour se tourner vers la traduction et son lot de contrats précaires. « J’ai travaillé quelques temps avec Lunea, puis ils ont fait faillite à cause de la crise. Et là je travaille pour d’autres entreprises, mais je n’ai pas été payée depuis juillet… » Les meilleurs mois, elle plafonne à 400 euros, pas de quoi payer un loyer. Condamnée à rester dans la maison familiale, sa tentative de donner des cours à l’université est restée infructueuse : faute de budget, elle est passée de dix-neuf heures l’année dernière à seulement six pour celle-ci.

Derrière les 30% de chômage chez les 15-24 ans (contre 12,6% pour le total de la population active en Grèce en septembre dernier) se bouclent les temps partiels, emplois très précaires et autres formes d’intérim… Sans compter ceux qui sont recalés par une petite subtilité statistique : au delà de six mois d’inactivité, les actifs disparaissent purement et simplement des listes. Situation courante en Grèce dans les temps de crise. Et aucune formation n’y échappe, pas même les plus nobles. « Mes deux filles ont fait des études de médecine. Mon aînée travaillait depuis un an dans un hôpital, mais à cause des réduction de personnel, elle a été licenciée. », désespère Piter, chauffeur de taxi de 60 ans, qui doit désormais subvenir aux besoins de sa femme, qui ne travaille pas, et de ses feux filles… âgées de 35 et 37 ans.

Se rapprocher du parti majoritaire pour échapper à la rigueur…

Poussée dans ses derniers retranchements, Natalia pense user d’une facilité dont elle aurait préféré se passer : « Il me reste peut-être une solution : faire de la traduction de documents politiques. »

Paradoxe de la crise : se rapprocher du parti au pouvoir responsable de la politique de rigueur est devenu « le meilleur moyen de trouver un emploi », si l’on en croît la sociologue Andromaque Hadjighianni, du Centre National de Recherches en Sciences Sociales d’Athènes.

« Vous avez rencontré un membre du Pasok [le Parti Socialiste majoritaire, NdR] ? Surtout ne le croyez pas ! Ils mentent tous », prévient Diamond, 24 ans, sympathisant communiste, « esprit libre » selon ses termes. C’est avec un dégoût non dissimulé qu’il explique que sa sœur, après des études de journalisme, a fini par rejoindre le Pasok à 22 ans, parce qu’elle ne trouvait pas d’emploi. « Il est de plus en plus fréquent que les étudiants se rapprochent des partis politiques dès l’université, non pas par adhésion idéologique, mais bien pour trouver un emploi », confirme une jeune étudiante militante, préférant garder l’anonymat, qui manifestait mercredi.

Phénomène clientéliste (« je te donne du travail, tu me donnes ton vote ») que confirment en coeur sociologues et syndicalistes : « c’est un secret de polichinelle. » Même si les jeunes dénoncent d’une seule voix ces pratiques, ils sont de plus en plus nombreux à ne pas envisager leur avenir autrement que par ces compromissions…

L’anarchisme plutôt que la compromission

Dans les urnes, c’est la révolte qui prime avec une absentéisme massive des jeunes, en partie responsable de l’explosion de l’extrême droite lors des élections … d’octobre. Pour d’autres, le désintérêt politique atteint le refus pur et simple de la démocratie grecque sous la forme de l’engagement anarchiste.

« C’est important à saisir : les jeunes, quand ils sont de « gauche » en Grèce, sont anarchistes, explique Julie, Franco-Grecque, et familière du milieu. Donc un jeune anarchiste grec, ce n’est pas comme un jeune anarchiste français : c’est juste un type normal, comme on en rencontre des tas. » Un “type normal”, aussi bien capable de lancer des projectiles sur une police qu’il hait profondément ou de détruire un parking pour y planter les arbres d’un “parc auto-géré”, que de donner des cours de grec aux immigrants, d’organiser des évènements culturels ou encore de discuter calmement politique pendant des heures au café du coin.

Les émeutes qui ont eu lieu lors de la manifestation de mercredi, malgré leur violence, n’ont pourtant pas été parmi les plus dévastatrices. Il y a deux ans déjà, toute la Grèce avait été frappée par les émeutes après la mort du jeune lycéen Alexis Grigoropoulos, tué par un policier, événement devenu véritable emblème pour le mouvement anarchiste. « La crise et le chômage peuvent expliquer que certains choisissent l’activisme dur, avance Konstantinos Kanelopoulos, chercheur spécialisé dans les mouvements contestataires. Si les manifestations violentes sont nombreuses depuis 2002, elles n’ont jamais autant concerné de monde, et de jeunes. Si radicalisme et violence augmentent, je pense que cela se doit essentiellement à la répression d’un gouvernement corrompu et inefficace ». Une vraie et générale révolte de la jeunesse grecque serait-elle envisageable ? La seule réponse qui semble timidement, mais naturellement, venir à la bouche, autant des chercheurs en sciences sociales que des syndicalistes, mais aussi des jeunes, engagés ou non, est « probable ».

Jusqu’à faire douter, parfois, qu’ils n’espèrent pas au fond que les jeunes passent à l’action à leur place.

Photos : Audrey Minart.

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