Les Etats-Unis, nouvel exportateur de gaz, bouleversent l’échiquier mondial de l’énergie

Redevenu exportateur grâce aux gaz de schiste, les Etats-Unis viennent marcher sur les plates bandes de la Russie et conquiert le marché de l'énergie grâce à leur expertise technologique.

Dans le ventre du lourd tanker Maersk Meridian, les barils de gaz naturel liquéfié (GNL) portent une étiquette peu banale : made in USA ! Ce 19 novembre le port d’hydrocarbure tout neuf de l’île de Grain, construit à l’Est de Londres sur les fonds de GDF, BP ou encore E.ON, reçoit le premier chargement de gaz naturel américain depuis des dizaines d’années.

Marcher sur les pipelines de Gazprom

Grâce aux gaz de schiste extraits de couches de roches profondes, les Etats-Unis ont reconquis leur indépendance énergétique et exportent désormais leur production : cette nouvelle ressource représente 15% de leur production total de gaz. En produisant 620 milliards de mètres cubes en 2009, le pays a même dépassé le leader mondial : la Russie.

En prenant pied en Europe, les producteurs américains marchent littéralement sur les pipelines de Gazprom, ici comme en son royaume de gaz, au côté du Qatar, de l’Iran et de l’Arabie Saoudite. Mais la reconquête a avant tout été technique : présents dans quasi tous les pays du monde, les gaz de schiste ne peuvent être aujourd’hui extraits que grâce à une seule technologie, d’origine américaine, la fracturation hydraulique.

La propriété industrielle de ces techniques est détenue par des sociétés spécialisées dans l’exploitation pétrolière comme Halliburton, Schlumberger, etc. Partout où du gaz de schiste est exploité, leurs ingénieurs sont envoyés, explique-t-on chez un des géants américains du gaz non conventionnel, Devon. Nous avons une décennie d’expérience, nos premiers puits ont été forés en 2002. Désormais, les grandes sociétés pétrolières étrangères se tournent vers des sociétés comme Chesapeake, en espérant un transfert de compétence par des partenariats.

Au delà de la seule situation des Etats-Unis, la libération de ces réserves entraîne des conséquences inattendues sur les marchés : en plein hiver, le gaz reste en 2010 sous les prix du pétrole, stabilisé par la nouvelle manne des schistes. Une aventure dans laquelle les Européens se lancent à peine.

Mais là encore, le primat technologique américain force les locaux au partage : dans le Sud de la France ouvert depuis peu à la prospection, Total pourrait remplacer son partenaire Devon (ayant préféré se recentrer sur l’Amérique du Nord) par Chesapeake, et GDF s’est mis sous l’aile du Texan Schuepbach, qui prospecte à travers le monde ces nouveaux gisements avec l’aide de la puissante multinationale Dale. Des concessions qui servent autant des ambitions économiques que politiques :

Un des enjeux du marché européen est de limiter sa dépendance vis à vis de la Russie, de l’Algérie ou encore du Moyen-Orient, explique Guy Maisonnier, de l’Institut Français du Pétrole. La notion clef est le renforcement de l’indépendance énergétique. Pour l’instant, nous en sommes à un stade préliminaire. La suite des opérations va dépendre du taux de récupération et des coûts de forage déterminés par les contraintes techniques.

Le géant russe du gaz obligé de pactiser avec Shell

Dans le reste de l’Europe, l’exploration se généralise : Allemagne, Royaume-Uni, Italie du Nord, Espagne, pays scandinaves… Quelques permis autorisant pour l’instant la prospection seulement, en attendant l’évaluation du potentiel des gisements découverts. Des ambitions communes ayant même donné naissance à un programme de recherche intitulé GASH. Avec une nette avance, la Pologne a signé 70 permis et réalisé la première fracturation hydraulique d’un puits de gaz de schiste en Europe… grâce à Halliburton. Une impatience qui s’explique par le fort potentiel gazier du sous sol polonais qui pourrait placer cet état juste derrière la Norvège et la Russie au rang des fournisseurs de l’Union européenne. Un coup économique mais aussi diplomatique puisqu’il l’affranchirait des désideratas du géant Gazprom, qui, profitant de l’hiver, fait la loi en Europe de l’Est en imposant ses tarifs.

Autant de raisons d’irriter Moscou : visant l’élargissement à l’Est de son emprise sur le marché du gaz, ses investissements dans le gazoduc ESPO et l’usine de gaz naturel liquéfié de Sakhaline pourraient être vains si la Chine, l’Australie et les autres pays de l’arc Pacifique venaient à développer leur propre industrie gazière. Poussé dans ses derniers retranchements, le tsar des hydrocarbures a ainsi envisagé d’investir lui-même dans les compagnies gazières américaines avant de signer un accord de coopération avec Shell pour compenser la chute de demande de gaz en Europe, d’où certains barils sont revenus pleins depuis le développement des gaz de schiste d’Amérique du Nord.

Mais la révolution ne s’arrêtera pas aux portes de l’Europe : “pour l’instant, le gaz n’a pas encore connu de véritable flambée et les gaz de schiste restent, à 6$ le gjoule, trop couteux à extraire par rapport au prix du marché, détaille Normand Mousseau, titulaire de la chaire de recherche du Canada en physique numérique de matériaux complexes et auteur du livre “La révolution des gaz de schiste”. Mais, plus le prix montera, plus les gisements lourds, comme les sables bitumineux, deviendront rentables : à 7$, le gaz liquéfié venu du Qatar pour rentrer en compétition avc le gaz russe et le gaz américain.” De quoi préparer d’autres révolutions explosives.

Photo FlickR CC Jeremy Brooks ; Paul Johnston ; Travis S.

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