OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le cerveau est-il vraiment rationnel? http://owni.fr/2011/04/06/le-cerveau-est-il-vraiment-rationnel/ http://owni.fr/2011/04/06/le-cerveau-est-il-vraiment-rationnel/#comments Wed, 06 Apr 2011 10:49:15 +0000 Rémi Sussan http://owni.fr/?p=34495 L’homme est-il un animal rationnel ? Grave question qui, il y a encore peu de temps semblait destinée à remplir les copies du Bac de philo, appelant idéalement à l’élaboration d’une thèse-antithèse-synthèse : oui, non, p’têt ben que oui, p’têt ben que non.

Les récentes recherches sur notre fonctionnement cérébral pourraient bien changer tout cela en profondeur. La question philosophique devient aujourd’hui un sujet de recherche. Et que découvre-t-on ?

Animal émotionnel

Avant tout, que l’homme est un animal émotionnel, un rescapé des courses poursuites avec les prédateurs dans la savane, qui va raisonner bien plus souvent en fonction de ses « feelings » que de ses calculs. Proposez à quelqu’un le jeu suivant : à chaque coup, il a une chance sur deux de gagner 150 euros, ou d’en perdre 100 ; il peut parier autant de fois qu’il le désire. Dans la majorité des cas, les gens refuseront le deal. Pourtant, mathématiquement, les gains et les pertes s’annulent, et l’on a même 25% de chances de se retrouver gagnant au final. Plus bizarre, certains sujets atteints de lésions cérébrales se montrent plus doués [en] pour évaluer correctement de tels équilibres bénéfices-risques que les personnes saines. L’homo economicus aurait-il reçu un coup sur le crâne ?

De même, notre environnement détermine directement certaines de nos décisions. Vous désirez réchauffer l’atmosphère et mettre en confiance un client potentiel ? Eh bien réchauffez-la, littéralement ! Offrez-lui une tasse de café ou de thé plutôt qu’une boisson glacée : les chances de conclure l’affaire s’en trouveront augmentées, c’est du moins ce qu’affirme une recherche menée par des psychologues à Yale [en].

Plus étrange encore, l’homme est un très mauvais calculateur, renchérit Dan Aryeli, professeur d’économie comportementale et auteur de C’est (vraiment?) moi qui décide. Interrogez des sujets sur une date historique obscure (par exemple le mariage d’Attila). Naturellement ils proposeront un nombre au hasard, à la louche. Demandez leur juste après d’évaluer le prix d’un meuble. Ceux qui auront choisi les dates les plus basses seront également ceux qui donneront les prix les moins importants ! Ariely explique que les sujets ont “ancré” le premier chiffre dans leur mémoire et vont ensuite continuer leurs estimations en partant de cette “ancre”.

Il s’agit d’un exemple parmi des centaines. Les chercheurs continuent chaque jour de trouver des preuves du caractère foncièrement non rationnel de notre fonctionnement cérébral, à coup de tests statistiques, voire d’examens neurologiques directs, comme l’IRM. Même si, en réalité, il est difficile de tirer des conclusions précises de toutes ces expériences.

Refonder l’économie et la politique

On ne sait pas encore très bien ce qui se passe à l’intérieur du cerveau ; la méthodologie des tests peut toujours être remise en question. Quant à l’IRM, c’est loin d’être le lecteur de pensée miracle comme on veut parfois nous le faire croire. Toujours est-il que malgré ces incertitudes, il se passe quelque chose qui change définitivement les termes du débat. Certains pensent à refonder l’économie, voire la politique.

Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002, est considéré comme le père de ce qu’on appelle l’économie comportementale et parfois même la neuroéconomie. Il a été le premier à tenter de bâtir une théorie économique sur le fonctionnement réel du cerveau, au lieu d’envisager un acteur idéal parfaitement raisonnable. Kahneman oppose le « système 1 » de pensée au « système  2 ». Ce dernier est notre mode de réflexion « classique », celui des intellectuels et des philosophes. Problème, il est lent à se mettre en place, et demande parfois plusieurs secondes pour nous faire parvenir à un choix. Le « système 1 » est celui qui a été mis en place dès les débuts de l’hominisation. Lui fonctionne bien plus vite.

Lorsque vous êtes poursuivi par un tigre à dents de sabre vous n’avez pas le temps de vous asseoir pour peser vos futures décisions ! L’ennui, c’est que le « système 1 » n’est pas adapté à des environnements peuplés de prédateurs autrement plus dangereux que les grands fauves, comme ceux de la salle des marchés de Wall Street ou du rez-de-chaussée des Galeries Lafayette. Toute la difficulté consiste à savoir utiliser le meilleur système selon les situations !

D’autres ont essayé d’adapter l’économie comportementale à la politique. C’est le cas de Richard Thaler et Cass Sunstein, qui, dans leur livre Nudge, essaient de redéfinir les politiques publiques du futur. Ils promeuvent une étrange idéologie, celle du libertarianisme paternaliste qui consiste, en lieu et place de lois et contraintes légales, à « pousser le citoyen » à choisir « spontanément » ce qui est le mieux pour lui et/ou pour la société.

Par exemple, dans le contexte des États-Unis, où les retraites sont proposées par l’entreprise, on n’offrirait plus au salarié de souscrire à une telle assurance, on l’inscrirait directement, à lui de faire l’effort de la refuser si tel est son désir. Un peu comme lorsqu’on vous offre un mois gratuit d’abonnement à un service, mais que vous devez spécifier votre souhait d’arrêter son usage avant la fin du mois, sinon vous passez automatiquement en mode payant… Une méthode de plus en plus utilisée et des plus irritante d’ailleurs !

Neuromarketing : la grande opération marketing ?

Cass Sunstein ayant pris en 2008 la tête de l’autorité des régulations au sein du gouvernement de Barak Obama, cela laisse présager que ce genre de pratique est appelée à devenir assez populaire. Naturellement, les commerciaux de tout poil se sont rués sur les conclusions de économie comportementale pour essayer de tirer des enseignements sur le consommateur à l’aide de tests ou d’examens cérébraux. Et d’essayer de voir à coup d’imagerie cérébrale si le consommateur préfère Pepsi ou Coca, ou même pour qui il va voter !

En novembre 2007, lors des primaires américaines, un article du New York Times [en], qui affirmait voir dans le cerveau des électeurs leurs préférences pour Hillary Clinton ou Barak Obama, avait déclenché une polémique dans la blogosphère scientifique. Force est de reconnaître que les appréciations des chercheurs n’allaient guère plus loin que les conclusions de l’horoscope hebdomadaire… Et plus grave, les auteurs de l’article étaient les chercheurs eux-mêmes [en] ce qui donnait à ce papier une allure de publi-reportage. De là à dire que le neuromarketing est avant tout… une opération marketing, il n’y a qu’un pas. Mais jusqu’à quand ? Les recherches progressent et rien ne dit que les spéculations pseudo-scientifiques d’aujourd’hui n’annoncent pas des méthodes qui pourraient s’avérer, demain, tout à fait efficaces.

>> Article initialement publié sur OWNI

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La science montre que vous êtes stupide http://owni.fr/2011/03/31/la-science-montre-que-vous-etes-stupide/ http://owni.fr/2011/03/31/la-science-montre-que-vous-etes-stupide/#comments Thu, 31 Mar 2011 15:06:09 +0000 Joe Quirk http://owni.fr/?p=54266 Joe Quirk est l’auteur de Exult et de It’s Not You, It’s Biology: The Science of Love, Sex & Relationships, un livre scientifique humoristique traduit en 17 langues.

Article publié initialement sur H+ Magazine et sur OWNI.eu et traduit par Stan Jourdan et Martin Clavey.

Vos souvenirs sont de la fiction

Robert Burton décrit une expérience dans son livre On being certain: believing you are right even when you are not, que toute personne dotée d’un fort caractère devrait lire. Immédiatement après l’explosion de la navette Challenger en 1986, le psychologue Ulri Neisser a demandé à 106 étudiants de décrire par écrit où ils étaient, avec qui, comment ils se sont sentis et les premières pensées qui leur sont venues à l’esprit.

Deux ans et demi plus tard, on a rassemblé les mêmes étudiants pour leur demander de répondre à nouveau par écrit aux mêmes questions. Lorsque les nouvelles descriptions ont été comparées avec les originales, elles ne correspondaient pas. Lieux, personnes, sentiments, premières réflexions: les étudiants avaient modifié leur version des faits. De plus, lorsqu’ils ont été confrontés à leur première description, ils étaient tellement attachés à leur “nouveaux” souvenirs, qu’ils avaient du mal à croire leurs anciennes versions. En fait, la majorité des gens a refusé de faire correspondre leurs “nouveaux” souvenirs au souvenir initial qu’ils avaient pourtant décrit la première fois. Ce qui frappe particulièrement Burton est la réponse d’un des étudiants :

C’est mon écriture, mais ce n’est pas ce qui s’est passé.

Le cerveau peut parfois jouer des tours

J’ai vu le film Casablanca au collège. Une des scènes était tellement cucul qu’elle est restée gravée dans ma mémoire. Je me suis souvent récité cette scène à l’eau de rose en riant sous cape pendant les vingt ans qui ont suivi. Puis, trentenaire, j’ai vu le film une seconde fois en attendant avec impatience la fameuse scène. Quand elle est arrivée, j’ai cru voir une toute autre scène ! Les personnages disaient d’autres choses et se trouvaient dans des endroits différents de la pièce. J’ai en plus dû attraper un paquet de mouchoirs. Comment mes souvenirs ont-ils pu à ce point remplacer ce que j’avais vu? Et comment Rick pouvait-il laisser mourir leur amour comme ça?

Mais la chose la plus bizarre est qu’aujourd’hui encore, je ne me souviens pas de la scène qui m’a ému lors du second visionnage. Et je me souviens toujours de la scène qui m’a fait rire quand j’étais jeune.

Vous êtes vous mêmes paumés par rapport à vos propres expériences. Vous avez déjà ré-écrit le paragraphe que vous venez de lire. Fermez vos yeux et résumez ce que je viens de dire. C’est fait? Maintenant relisez-le, et vous vous rendrez compte que vous ne vous souveniez pas des mots, mais seulement de votre impression de ce que j’ai dit. Une fois dite, votre vague impression est remplacée par la manière dont vous la verbalisez. Le maître de conférence en psychologie cognitive Jonathan Schooler appelle cela “l’ombrage verbal” (ou “verbal overshadowing”).

Combien de temps passez-vous à verbaliser ?

A chaque fois que vous parlez, vous détruisez le souvenir de ce que vous êtes en train de dire.

Votre mémoire peut être sélectivement effacée

Les célèbres expériences du neuroscientifique Karim Nader ont démontré que chaque fois que vous vous remémorez quelque chose, vous effacez l’ancien souvenir et en recréez un nouveau.

Pour stocker un souvenir, une certaine structure de protéine doit se former dans le cerveau. Lorsqu’on injecte une substance médicamenteuse à des rats pour perturber la formation de cette structure de protéine pendant qu’ils essayent de se remémorer quelque chose, ils deviennent incapables d’apprendre.

C’est là que ça devient bizarre. Lorsqu’un rat devient expert dans un domaine de connaissance – tel que la reconnaissance d’un son qui précède un choc – et que les chercheurs lui injectent le médicament pendant qu’il tente de faire appel à sa mémoire, son souvenir est effacé de manière permanente. Le rat retourne au même état d’ignorance qu’avant son apprentissage. Mais seuls les souvenirs auxquels le rat essayait de faire appel sont affectés par le médicament, aucun autre souvenir n’est touché. Cela signifie que la protéine qui encode la mémoire est reconstruite à chaque fois que le rat essaie d’accéder à la mémoire.

L’anisomycine, la substance médicamenteuse en question, a été utilisée pour effacer de façon sélective la mémoire de personnes tourmentées par des syndromes de stress post-traumatique. Si le patient prend le médicament alors qu’il est invité à se rappeler ses traumatiques souvenirs, sa mémoire s’obscurcit. Certains souvenirs vont prendre des voies différentes via l’hippocampe pour parvenir à la conscience, mais l’intensité des émotions, au niveau de l’amygdale, est amoindrie, devenant vague et indolore.

Se souvenir est un acte de création. Yadin Dudai, professeur à l’Institut Weizmann et auteur de Memory from A to Z, en est parvenu à la conclusion paradoxale que la mémoire la plus parfaite « est celle des patients amnésiques ».

Vous souvenez-vous de la personne qui vous énervait au lycée ? Cela n’est jamais arrivé. Vous avez surévalué l’importance de cet événement. Ne vous tracassez pas à écrire vos mémoires, car elles n’existent pas. Contrairement à la fiction, que vous savez avoir inventée, la mémoire est cette chose dont vous n’avez pas conscience que vous l’avez inventée.

Hey, gros naze, tu ne peux même pas comprendre ce qui s’est passé dans ta propre vie. Comment vas-tu faire pour comprendre ce qui va se passer, pour tout le monde, dans le futur ?

Le sentiment de connaître est dissociable du fait de savoir

Le sentiment de connaître, c’est exactement cela, une sensation.

Le docteur Burton a démontré que l’expérience de connaître arrive indépendamment des “étapes logiques” que vous pensez devoir prendre pour arriver à une conclusion. En fait, elles proviennent de différentes régions du cerveau.

Burton fait l’hypothèse que les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) sont liés à une incapacité à faire l’expérience du sentiment de connaître quelque chose. Peu importe si le patient se prouve que ses mains sont propres ou que la portière de la voiture est bien fermée, il n’oubliera pas ses clefs, il ne peut juste pas le croire. Il peut savoir que quelque chose est vrai, il ne peut juste pas sentir que cela est vrai. D’autres patients ayant des lésions cérébrales connaissent des phénomènes similaires entre le fait de savoir et le fait d’avoir la sensation de savoir, si bien qu’ils sont convaincus que la table a été volée et remplacée par une réplique identique, ou bien que leur mère a été kidnappée et remplacée par un sosie imposteur. Ils voient des choses familières, mais n’ont pas le sentiment de les avoir déjà vues.

Exactement comme un savoir précis peut venir sans aucune sensation de le connaître, le sentiment de savoir peut venir sans aucune connaissance. Burton a analysé les retranscriptions de personnes qui font l’expérience de révélations mystiques : « C’est si limpide ! Tout s’explique ! » – alors qu’ils sont incapables de rentrer dans les détails. L’extase religieuse imprègne une personne avec le sentiment qu’elle sait tout, absolument tout, malgré l’absence totale de faits précis auxquels rattacher leur sentiment. Les révélations mystiques sont indescriptibles, précisément parce qu’il n’y a rien à exploiter mis à part “l’univers” ou “l’entièreté”. Certains épileptiques, au premier stade d’une attaque, décrivent la même extase transcendantale. Vous pouvez faire cette expérience, vous aussi. Si un scientifique vous administrait un stimulus électrique sur votre lobe temporal, vous utiliseriez vous aussi la langue des prophètes.

Notre sensibilité à la sensation enivrante  de savoir est la raison pour laquelle tous les humains sont atteints de ce que Burton appelle “une épidémie de certitudes”. Participez au prochain sommet sur le transhumanisme, observez si des symptômes apparaissent et attendez de choper le virus jubilatoire.

La raison n’est jamais la raison

Voulez-vous être une personne rationnelle ? Faites attention à ce que vous souhaitez.

Un homme à qui on avait retiré une petite tumeur cérébrale, près du lobe frontal de son cerveau, semblait être en bonne forme au départ. Il avait passé tout les tests d’intelligence et avait conservé toutes ses facultés. Mais une fois retourné à la vie de tous les jours, il a été paralysé dans la prise de décisions simples. Pour choisir entre un stylo bleu ou noir, il réfléchissait pendant 20 minutes, assis à son bureau, évaluant consciencieusement les conséquences de chaque option. Famille et amis rapportèrent que l’individu était devenu hyper-rationel, qu’il pouvait discuter éternellement des moindres détails d’un conflit d’horaire, lister les avantages et inconvénients de chaque possibilité tout en étant incapable de prendre une décision. Les personnes cognitivement normales qui l’écoutaient voyaient toujours son côté raisonnable. Rien de ce qu’il disait sur aucun sujet n’était irrationnel. Mais comme le dit Antonio Damasio, habitué au contact avec les personnes cognitivement déséquilibrées :

Tu as juste envie de taper du poing sur la table et de dire : prends une décision à la fin !

Il s’avère que la “preuve” du libre arbitre du théologue médiéval Jean Buridan est fausse. Il prétendait qu’un âne affamé à distance égale de deux bottes de foin serait bloqué sur place s’il n’avait pas de libre arbitre, puisque les deux choix étaient équivalents (L’âne de Buridan est comme la pomme de Newton : les fausses analogies populaires sont les véhicules dans lesquelles les mèmes voyagent).

Je n’ai jamais été un âne à équidistance de deux grosses bottes de foin, mais j’ai été un trou du cul à équidistance de deux gros bourriquets, et je peux vous promettre que je ne suis pas resté bloqué. Cela m’a pris peu de temps pour agir selon les circonstances. En fait, moins vous réfléchissez, plus l’action est facile.

C’est comme si le cerveau avait une minuterie automatique ou un ressort enroulé, qui déclenchait à un moment donné une pulsion émotionnelle qui nous poussait à faire des choix. Nous n’avons pas évolué pour connaître le monde, mais pour prendre les décisions les plus statistiquement efficientes étant donné les connaissances et le temps limité dont nous disposons. Sans impulsions pour clôturer le débat, aucune décision n’est possible par pure rationalité. Avec un peu de réflexion, les différentes possibilités offertes paraissent aussi valables les unes que les autres. La raison est un outil destiné à servir d’impulsion, pas ce qui provoque la décision. Vous pouvez raisonner pour vous amener à la conclusion que vous vouliez. La volonté est la clé.

Peut-être que la névrose est une impulsion peu développée pour l’emporter sur la rationalité démente. Vous pouvez remarquer que les gens stupides ne souffrent pas de névrose. Ce ne sont que les gens comme Woody Allen qui vous rendent fou à repenser chaque considération. Il faut que quelque chose prenne le dessus sur la paralysie de l’analyse, et cela ne peut pas être l’analyse…

Nous admirons la vertu de nos idoles, leur capacité à « agir à l’instinct », sans être perturbés par des considérations intellos. Bien sûr, la confiance d’un leader n’est pas fondée sur l’anticipation de l’effet domino de sa décision. Les leaders agissent avec fermeté et une moral claire dans un état d’ignorance. C’est pourquoi nous les suivons. Leur absence de doutes est contagieux.

Aviez-vous envie de croire aux argumentations scientifiques qui montrent la possibilité de ne pas vieillir avant que des leaders y croient ?

Pourquoi cette réponse vient-elle juste de vous venir à l’esprit ? Pourquoi les réponses devraient-elles faire ‘ding’ dans votre tête, après tout ?

Vous ne savez pas pourquoi vous venez de penser cela

Les neuroscientifiques Michael Gazzaniga et Roger Sperry ont constaté que les personnes qui ont un corps calleux (le pont entre le cerveau droit et gauche de l’épaisseur d’un pouce) rompu, agissent avec deux “volontés” différentes. Chacune ayant à peu près la moitié de nos capacités globales, elles opèrent indépendamment sous le même crâne, sans consulter l’autre avant de prendre une décision. Histoire vraie : la main gauche enlève un T-shirt, tandis que la main droite le reprend et le remet. La main gauche devient tellement frustrée qu’elle tente d’étrangler la personne comme Steve Martin dans The Man With Two Brains.

L’hémisphère gauche est en charge du langage. L’hémisphère droit est en charge de la vue. Si vous montrez furtivement l’image d’une cuillère à l’œil du cerveau droit d’un patient atteint d’une section du corps calleux, il vous dira qu’il ne voit rien. Si vous lui demandez de prendre un objet par la main qui correspond à l’hémisphère droit, le patient prendra la cuillère qu’il prétendait ne pas voir tout en étant incapable de savoir ce qu’il tient dans la main.

Lorsque Sperry a montré furtivement un écriteau “MARCHE” à l’hémisphère droit en charge de la représentation visuelle, le patient s’est levé et a traversé la pièce. Mais lorsqu’on lui a demandé pourquoi il venait de le faire, il (le cerveau gauche en charge du langage) a répondu : « Pour avoir un coca. »

Imaginez l’étonnement de Sperry à ce moment là, alors qu’il connaissait la véritable raison du déplacement du patient. L’hémisphère du langage parvient à émettre spontanément une réponse, mais le propriétaire du cerveau n’en avait aucune idée.

Un poulet a été montré à l’hémisphère gauche tandis que l’on a montré une chute de neige à l’autre. Puis, lorsque Sperry a demandé au patient de choisir l’image qui correspondait à ce qu’il avait vu, la main contrôlée par l’hémisphère gauche pris une griffe, et la main contrôlée par l’hémisphère droit saisit une pelle. Intéressant… les deux hémisphères peuvent indépendamment et simultanément choisir une image qui correspond indirectement à ce qu’ils ont vu.

Ensuite, Sperry a demandé pourquoi il avait choisi une griffe et une pelle. Ce à quoi le patient a répondu sans hésitation : « Oh, c’est simple : la griffe de poulet va de paire avec le poulet, et vous avez besoin d’une pelle pour nettoyer le poulailler ». Si chaque hémisphère peut spontanément créer du sens à chaque action, il faut se demander comment des parties plus subtiles de notre cerveau trouvent des raisons pour justifier les actions d’autres parties du cerveau. Si des petits mensonges passent d’une partie du cerveau à l’autre, pourquoi ne se passerait-il pas la même chose entre les plus petites parties du cerveau ?

Pourquoi avez-vous choisi ces ingrédients pour votre petit déjeuner ce matin ? Pourquoi sortez-vous toujours avec ce con ? Pourquoi ne respectez-vous pas votre régime alimentaire ? Pourquoi considérez-vous la source la plus fiable comme la raison pour laquelle vous agissez ? Rien ne vous a dit de prendre un Coca. Vous avez choisi un Coca, n’est-ce pas ?

Vous êtes le pire juge de vous-même

Hey, couillons, les sciences cognitives démontrent que vous n’êtes pas assez brillants pour réaliser à quel point votre vie est un bordel, parce que vous êtes configurés pour vous raconter à vous même une belle histoire après que les faits se sont produits. Microseconde après microseconde, votre neocortex invente une histoire qui dit : « Je voulais faire ça ». Votre conscience pense être Sherlock Holmes, mais en fait elle n’est que Maxwell Smart, qui se promène dans la vie en se tissant des excuses cohérentes pour maintenir une illusion de contrôle.

Par exemple, regardez votre propre vie, bande de lopettes. Combien de fois avez-vous fait tout foirer en blâmant les autres ? Et combien de fois êtes-vous tombé par hasard sur des trucs intéressants, et ensuite avez prétendu que vous aviez fait exprès ?

Plus de fois que vous ne le pensez. Des expériences astucieuses d’appels à la mémoire montrent comment nous inventons des discours pour justifier ce qui s’est passé. Nous pensons que nos vies ont un sens en regardant en arrière et en sélectionnant les éléments qui constituent une histoire cohérente, puis nous altérons inconsciemment tous ces événements pour confirmer ce que nous voulons croire à propos de nous mêmes.

Quand nous nous auto-évaluons, nous sommes tous sensibles au phénomène du lac Wobegon : quand on interroge les gens, la plupart des gens s’estiment plus intelligents, plus attirants, plus optimistes, plus charismatiques, et moins subjectifs que la moyenne. Même si vous êtes meilleurs que la moyenne dans un de ces domaines, les chances que vous battiez la moyenne dans ces cinq domaines sont faibles. Il y a des chances que vous soyez même en dessous de la moyenne dans plusieurs de ces domaines. Comment je le sais ? Je suis plus intelligent, plus charmant, plus charismatique et moins partial que la plupart des gens !

J’ai eu la chance de parler à la terreur de ma classe de lycée, qui évoqué la façon dont la vie lui avait été favorable. J’ai alors décidé de lui mentionner le fait que c’était la première rencontre non-violente que nous avions. Il a évoqué un handicapé mental qui avait été frappé plus fort que moi et s’est vanté que tout le monde évitait ce gamin quand lui-même était dans les parages. Je l’ai regardé poliment, intrigué par l’illusion qu’il avait de lui même. Je me rappelle de lui comme de quelqu’un d’irrémédiablement et continuellement méchant. Pendant un moment, j’ai remis en question ma propre maturité, l’innocente victime de sarcasme aurait dû applaudir au lieu de se battre, mais j’ai un peu plus réfléchi.

La raison a sa propre conscience. Mais ce n’est même pas elle qui est cause.

Votre bras vous laisse penser que vous le contrôlez

Avez-vous déjà abandonné cet article ? Pourquoi vous le lisez encore ? Parce que ça ne dépend pas de vous. Vous ne pouvez même pas choisir quand vous cliquez.

Dans une célèbre expérience, Benjamin Libert a placé des électrodes sur la tête et sur les bras des cobayes pour faire des électroencephalogrammes et des électromyogrammes, puis leur a demandé de bouger les doigts quand ils le voulaient. Libet a constaté que l’activité motrice du cerveau démarrait un quart de seconde avant que le sujet devienne conscient du choix de bouger son doigt. Voici la séquence :

1. activité motrice dans le cerveau

2. un quart de seconde plus tard, le patient choisi consciemment de bouger un doigt

3. un quart de seconde plus tard, le patient bouge.

L’activité motrice n’est pas la conséquence d’un choix délibéré. L’activité motrice entraine le choix.

Venez vous de dire… n’importe quoi ! D’où cela vient-il ? une réaction spontanée n’est pas raisonnée.

La raison est le fait de justifier une réaction spontanée. La raison se précipite dans les millisecondes après votre réaction instinctive. La prochaine fois que vous effectuez un jugement hâtif, demandez-vous combien de raisonnements peuvent avoir lieu le temps d’un clin d’œil.

Hey, crétin. Les pensées sont spontanées. La raison est tortueuse. La tendance à croire crée le bordel. Après, la raison trouve son chemin, convaincue de votre capacité à éliminer les mauvaises alternatives. Tout ce que vous pensez savoir est une escroquerie avec laquelle votre cerveau joue contre votre conscience. Y compris ce que vous pensez du mec qui écrit cet article.

Vous ne savez pas pourquoi vous aimez ou non les gens

Quelle confiance avez-vous en votre jugement de ma personnalité ? Ai-je l’air d’un enfoiré ou d’un embobineur avec lequel vous aimeriez diner ? Ça dépend moins de votre jugement objectif que du fait que vous avez une boisson chaude dans la main.

Des chercheurs ont demandé à des gens de participer à une étude dans laquelle ils notaient le portrait écrit d’une star. Juste avant que la moitié des cobayes s’assoit, le chercheur leur demandait : “Pouvez-vous tenir ça pendant une seconde?” cette moitié tenait la tasse chaude pendant une seconde avant de s’assoir. Et on ne le demandait pas à l’autre moitié. On demandait ensuite :

Comment appréciez vous cette personne ? Donnez une note entre 1 et 10.

Ceux qui avaient tenu la tasse de café pendant une seconde notaient la personne 20% plus haut en moyenne que ceux qui ne l’avaient pas fait.

Ceux d’entre vous qui sont en train de boire du café, ou ceux qui sont un peu plus compatissants m’aiment probablement plus que les autres. Les autres, allez vous faire foutre. (Je n’ai rien de chaud en main. Attendez, mon chien vient tout juste de s’allonger sur mes genoux. Je m’excuse de ce que je viens d’écrire. Peut-on être de nouveau en bon terme ?)

La prochaine fois que vous jugez quelqu’un, demandez vous si votre réaction se base sur un jugement ou sur votre digestion.

Le sac de nœuds dans lequel nos rêves piochent

Beaucoup de transhumanistes m’ont dit triomphalement que la nature humaine avait été laissée de côté. Alors pourquoi s’emmerdent-ils à m’en parler ? Tous les hommes accordent de l’importance à ce que les autres pensent, réagissent spontanément quand leur valeur est mise en cause, et discutent de ce qui est vrai avec les gens de leur tribu. Voyez-vous le bouton de commentaire en dessous ? Pourquoi votre chat ne le trouve pas irrésistible ? Pourquoi vous ne choisissez pas d’être un peu plus comme votre chat ? Éteignez votre cerveaux, allez au soleil, laissez tomber, et soyez satisfait.

Hey, vous lisez encore. Combien de temps avez-vous pris pour vous convaincre qu’il était temps d’arrêter de suivre les opinions des autres et de vous faire la votre ? Pourquoi alors que le cerveau de votre chat tourne naturellement autour de la maison de Bouddha, vous devez vous discipliner pour réussir ? C’est encore cette satanée nature humaine. Ça ne s’estompera pas, même la partie qui désire le transcender, une particularité unique de l’Homo Confabulus.

Si nous pouvons nier l’entêtement de la nature humaine, nous pouvons refouler les informations qui contredisent ce que l’auteur Tamim Ansary appelle “la convoitise stérile de la transcendance” qui amène à plus d’illusion.

Image de Une customisée Elsa Secco @Owni /-)
Source iStock
Illustrations CC FlickR: dierk schaefer, neil conway

Photos Flickr CC Troy Holden, TZA, TangYauHoong, Pierre-Brice.H, djwudi et brain_blogger

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Rationnel, le cerveau? http://owni.fr/2011/03/30/rationnel-le-cerveau/ http://owni.fr/2011/03/30/rationnel-le-cerveau/#comments Wed, 30 Mar 2011 11:16:14 +0000 Rémi Sussan http://owni.fr/?p=54241 L’homme est-il un animal rationnel ? Grave question qui, il y a encore peu de temps semblait destinée à remplir les copies du Bac de philo, appelant idéalement à l’élaboration d’une thèse-antithèse-synthèse : oui, non, p’têt ben que oui, p’têt ben que non.

Les récentes recherches sur notre fonctionnement cérébral pourraient bien changer tout cela en profondeur. La question philosophique devient aujourd’hui un sujet de recherche. Et que découvre-t-on ?

Animal émotionnel

Avant tout, que l’homme est un animal émotionnel, un rescapé des courses poursuites avec les prédateurs dans la savane, qui va raisonner bien plus souvent en fonction de ses « feelings » que de ses calculs. Proposez à quelqu’un le jeu suivant : à chaque coup, il a une chance sur deux de gagner 150 euros, ou d’en perdre 100 ; il peut parier autant de fois qu’il le désire. Dans la majorité des cas, les gens refuseront le deal. Pourtant, mathématiquement, les gains et les pertes s’annulent, et l’on a même 25% de chances de se retrouver gagnant au final. Plus bizarre, certains sujets atteints de lésions cérébrales se montrent plus doués [en] pour évaluer correctement de tels équilibres bénéfices-risques que les personnes saines. L’homo economicus aurait-il reçu un coup sur le crâne ?

De même, notre environnement détermine directement certaines de nos décisions. Vous désirez réchauffer l’atmosphère et mettre en confiance un client potentiel ? Eh bien réchauffez-la, littéralement ! Offrez-lui une tasse de café ou de thé plutôt qu’une boisson glacée : les chances de conclure l’affaire s’en trouveront augmentées, c’est du moins ce qu’affirme une recherche menée par des psychologues à Yale [en].

Plus étrange encore, l’homme est un très mauvais calculateur, renchérit Dan Aryeli, professeur d’économie comportementale et auteur de C’est (vraiment?) moi qui décide. Interrogez des sujets sur une date historique obscure (par exemple le mariage d’Attila). Naturellement ils proposeront un nombre au hasard, à la louche. Demandez leur juste après d’évaluer le prix d’un meuble. Ceux qui auront choisi les dates les plus basses seront également ceux qui donneront les prix les moins importants ! Ariely explique que les sujets ont “ancré” le premier chiffre dans leur mémoire et vont ensuite continuer leurs estimations en partant de cette “ancre”.

Il s’agit d’un exemple parmi des centaines. Les chercheurs continuent chaque jour de trouver des preuves du caractère foncièrement non rationnel de notre fonctionnement cérébral, à coup de tests statistiques, voire d’examens neurologiques directs, comme l’IRM. Même si, en réalité, il est difficile de tirer des conclusions précises de toutes ces expériences.

Refonder l’économie et la politique

On ne sait pas encore très bien ce qui se passe à l’intérieur du cerveau ; la méthodologie des tests peut toujours être remise en question. Quant à l’IRM, c’est loin d’être le lecteur de pensée miracle comme on veut parfois nous le faire croire. Toujours est-il que malgré ces incertitudes, il se passe quelque chose qui change définitivement les termes du débat. Certains pensent à refonder l’économie, voire la politique.

Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002, est considéré comme le père de ce qu’on appelle l’économie comportementale et parfois même la neuroéconomie. Il a été le premier à tenter de bâtir une théorie économique sur le fonctionnement réel du cerveau, au lieu d’envisager un acteur idéal parfaitement raisonnable. Kahneman oppose le « système 1 » de pensée au « système  2 ». Ce dernier est notre mode de réflexion « classique », celui des intellectuels et des philosophes. Problème, il est lent à se mettre en place, et demande parfois plusieurs secondes pour nous faire parvenir à un choix. Le « système 1 » est celui qui a été mis en place dès les débuts de l’hominisation. Lui fonctionne bien plus vite.

Lorsque vous êtes poursuivi par un tigre à dents de sabre vous n’avez pas le temps de vous asseoir pour peser vos futures décisions ! L’ennui, c’est que le « système 1 » n’est pas adapté à des environnements peuplés de prédateurs autrement plus dangereux que les grands fauves, comme ceux de la salle des marchés de Wall Street ou du rez-de-chaussée des Galeries Lafayette. Toute la difficulté consiste à savoir utiliser le meilleur système selon les situations !

D’autres ont essayé d’adapter l’économie comportementale à la politique. C’est le cas de Richard Thaler et Cass Sunstein, qui, dans leur livre Nudge, essaient de redéfinir les politiques publiques du futur. Ils promeuvent une étrange idéologie, celle du libertarianisme paternaliste qui consiste, en lieu et place de lois et contraintes légales, à « pousser le citoyen » à choisir « spontanément » ce qui est le mieux pour lui et/ou pour la société.

Par exemple, dans le contexte des États-Unis, où les retraites sont proposées par l’entreprise, on n’offrirait plus au salarié de souscrire à une telle assurance, on l’inscrirait directement, à lui de faire l’effort de la refuser si tel est son désir. Un peu comme lorsqu’on vous offre un mois gratuit d’abonnement à un service, mais que vous devez spécifier votre souhait d’arrêter son usage avant la fin du mois, sinon vous passez automatiquement en mode payant… Une méthode de plus en plus utilisée et des plus irritante d’ailleurs !

Neuromarketing : la grande opération marketing ?

Cass Sunstein ayant pris en 2008 la tête de l’autorité des régulations au sein du gouvernement de Barak Obama, cela laisse présager que ce genre de pratique est appelée à devenir assez populaire. Naturellement, les commerciaux de tout poil se sont rués sur les conclusions de économie comportementale pour essayer de tirer des enseignements sur le consommateur à l’aide de tests ou d’examens cérébraux. Et d’essayer de voir à coup d’imagerie cérébrale si le consommateur préfère Pepsi ou Coca, ou même pour qui il va voter !

En novembre 2007, lors des primaires américaines, un article du New York Times [en], qui affirmait voir dans le cerveau des électeurs leurs préférences pour Hillary Clinton ou Barak Obama, avait déclenché une polémique dans la blogosphère scientifique. Force est de reconnaître que les appréciations des chercheurs n’allaient guère plus loin que les conclusions de l’horoscope hebdomadaire… Et plus grave, les auteurs de l’article étaient les chercheurs eux-mêmes [en] ce qui donnait à ce papier une allure de publi-reportage. De là à dire que le neuromarketing est avant tout… une opération marketing, il n’y a qu’un pas. Mais jusqu’à quand ? Les recherches progressent et rien ne dit que les spéculations pseudo-scientifiques d’aujourd’hui n’annoncent pas des méthodes qui pourraient s’avérer, demain, tout à fait efficaces.



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Prendre le jeu au sérieux http://owni.fr/2010/07/19/prendre-le-jeu-au-serieux/ http://owni.fr/2010/07/19/prendre-le-jeu-au-serieux/#comments Mon, 19 Jul 2010 08:16:33 +0000 Rémi Sussan http://owni.fr/?p=22259 Cette partie d’un dossier d’InternetActu consacré au serious game, “Soyons sérieux, jouons !”, défriche cette notion. D’un certain point de vue, elle n’est pas nouvelle.

Le jeu sérieux est-il un nouvel Eldorado ? On pourrait le croire en observant le nombre de conférences et évènements consacré au sujet en 2009, ou en regardant le succès remporté par l’“appel à projets” du ministère de l’Economie numérique lancé sur le sujet.

Mais le succès des jeux sérieux n’est pas pour autant acquis ! Aucun jeu sérieux n’est encore apparu dans le top des ventes. D’ailleurs, dans cette proposition de jeux sérieux, n’y-a-t-il pas une contradiction dans les termes ? Le propre du jeu n’est-il pas de subvertir les catégories sociales en vigueur ? N’est-il pas plus habité par l’esprit du carnaval que par celui de l’école ? Qu’est-ce qui est “‘nouveau” dans ce concept ? Les “jeux éducatifs” existent depuis toujours. Et pas seulement depuis l’edutainment des années CD-Rom, ces jeux parascolaires qui allaient permettre aux enfants d’apprendre tout en se divertissant – edutainement dont les actuels promoteurs du jeu sérieux souhaitent d’ailleurs s’éloigner.

Notion paradoxale

Qu’y a -t-il de nouveau, alors ? Avant tout, le jeu devient une activité “sérieuse” : autrement dit, elle s’adresse largement autant aux adultes qu’aux enfants. Il ne s’agit plus de faire du parascolaire, de mettre un nez de clown pour faire passer la pilule de la leçon sur le complément d’objet. L’actuelle vogue des “jeux sérieux” doit beaucoup à la montée en puissance des ordinateurs et à la perfection des simulations. Du coup, le jeu sérieux quitte l’école pour investir d’autres domaines. L’entreprise, bien sûr, mais aussi la santé, voire l’action militante, car certains de ces jeux ont moins pour ambition d’éduquer sur un sujet que faire passer des idées : c’est ce qu’on appelle les “jeux persuasifs”.

Mais le progrès technologique ne résout toujours pas la difficulté, le paradoxe du “jeu sérieux” : une simulation n’est pas un jeu, comme nous le rappelle Second Life ! Or, la dimension ludique reste nécessaire pour permettre l’immersion : on ne s’investira pas dans la meilleure des simulations si l’on s’y ennuie à mourir.

De fait, l’une des conditions fondamentales du jeu est qu’on y entre de son plein gré et qu’on peut en sortir quand on le désire. Le seul pouvoir de fascination du jeu est suffisant pour retenir le participant dans ses rets. C’est la théorie du “cercle magique”, formulée par Johan Huizinga dans son classique Homo Ludens, écrit en 1938. A l’intérieur du cercle, on est dans le jeu. En dehors, on ne joue pas, quoiqu’on fasse. À bien y regarder, il semblerait pourtant que le jeu sérieux, par son nom même, constitue une brèche dans le cercle magique.

Pour Hector Rodriguez, qui consacre un long essai à ce problème dans la revue en ligne Game Studies, il n’y a pas vraiment de contradiction entre jeu et “sérieux”. À condition toutefois de ne pas se tromper d’approche :

“Le premier point de vue consiste à considérer les jeux comme des outils d’enseignement ou de formation dont le but principal est de rendre le processus d’apprentissage plus agréable, attirant ou accessible à l’étudiant. (…) Le jeu est utilisé uniquement comme un moyen de maximiser l’efficacité de l’enseignement. Un exemple de cette méthode est l’edutainment, “l’éducation par l’amusement”. Cette approche du jeu sérieux, cependant, ne s’accorde pas bien avec la théorie de Huizinga selon laquelle l’intégrité du jeu est pervertie si on l’utilise pour servir une fonction sociale.”

Mais on peut considérer les choses d’une manière radicalement différente, en se basant sur : “la conviction que de nombreuses manifestions de la culture dite sérieuse possèdent intrinsèquement des aspects ludiques. (…) Jouer peut faire partie du processus d’apprentissage parce que le sujet qu’on apprend est, du moins sous certains aspects, essentiellement ludique. Le rôle des jeux sérieux dans le processus d’apprentissage consiste donc à mettre en lumière la nature fondamentalement ludique du sujet enseigné”.

Neuroscience du jeu

De fait, il existe deux façons de prendre les jeux au sérieux. La première consiste à concevoir des jeux dans un but spécifiquement non ludique, éducatif, militant, etc. L’autre est de reconsidérer les jeux dans leur ensemble, même ceux qui suscitent le plus de méfiance et de mépris, et se demander ce qu’ils sont susceptibles de nous apporter.

Les études se multiplient sur les bienfaits psychologiques des jeux, de l’extension de la mémoire de travail aux capacités visio-spatiales. Tout récemment, une étude sur un groupe de jeunes adolescentes jouant à Tetris aurait même montré que ce jeu aurait la capacité d’épaissir certaines régions de la matière grise. Tout aussi surprenant, selon une étude menée en 2004 au centre médical de Beth Israël à New York, “les chirurgiens qui jouent à des jeux vidéos plus de trois heures par semaine commettent 37% moins d’erreurs dans la salle d’opération que ceux qui ne jouent pas. lls sont 27 fois plus rapides en cœlioscopie, et sont capables de suturer 33% plus vite”.

Mais pour l’écrivain Steven Berlin Johnson (fondateur d’un des premiers magazines en ligne, Feed, et auteur de Everything bad is good for you, c’est-à-dire Tout ce qui est mauvais est bon pour vous), on ne saurait s’arrêter à ces petites améliorations, certes appréciables, mais qui restent anecdotiques. L’aspect éducatif du jeu va bien plus loin et est bien plus novateur.

Il raconte comment, un jour alors qu’il s’échinait avec difficulté sur une partie de Sim City, son fils de sept ans le regarda jouer et lui dit simplement : “peut-être faudrait-il diminuer les impôts dans les zones ouvrières”. L’enfant avait “absorbé”, par simple contact avec le jeu, un savoir économique largement au dessus de son âge.

Pour Johnson, les jeux vidéos modernes développent deux capacités fondamentales dans le monde d’aujourd’hui : ils forment à l’exploration systématique et à l’élaboration de plans complexes, avec établissement d’un ensemble de priorités, de sous priorités, etc. Explorer, tester des hypothèses, planifier une tâche… Ce sont les fondements de la méthode scientifique.

Pourquoi le jeu nous forme-t-il si intuivement à des tâches aussi complexes ? Pour Johnson, la réponse est dans la dopamine. Chaque nouveau succès dans un jeu, chaque ennemi mis à terre, chaque trésor déterré, chaque épreuve gagnée nous donnerait notre “dose” de dopamine, molécule dont notre cerveau est particulièrement friand, et nous pousserait ainsi à continuer à jouer !

Le psychologue et blogueur Jamie Madigan s’est intéressé de près à cette idée du jeu comme “dealer de dopamine” en étudiant particulièrement à la notion de “butin” dans des jeux comme World of Warcraft. Vieil héritage de Donjons et Dragons, cette pratique propre à la plupart des jeux de rôles consiste à “faire les poches” d’un monstre qu’on vient de tuer pour récupérer éventuellement argent ou objets. Selon Madigan, les cellules émettrices de la dopamine s’activent particulièrement lorsqu’elles recherchent une récompense, mais elles deviennent quasiment folles lorsque la récompense se révèle totalement inattendue, comme lorsqu’on découvre sur le cadavre d’un des monstres une arme magique particulièrement miraculeuse !

"Snakes and ladders"

Le jeu est par nature éducatif

Pour Raph Koster, qui en son temps dirigea la création d’un des premiers MMORPG (jeu de rôle en ligne massivement multijoueur), Ultima Online, tout jeu est fondamentalement éducatif. C’est l’idée qu’il développe dans son livre, A theory of fun. D’après lui, les êtres humains ont le don de découvrir des patterns, des modèles, des structures… Ils en voient partout, mais il leur faut un certain temps pour les construire. C’est cet acte de reconnaitre et manipuler des patterns qui font le “fun”. Comme il l’explique lors d’une conférence :

“Le fun est le feedback envoyé par le cerveau lorsque nous réussissons à absorber une pattern. Nous devons absorber des patterns, car sinon nous mourrons. Donc le cerveau DOIT envoyer un feedback positif lorsque nous apprenons quelque chose. Nous avons tendance à voir l’amusement comme quelque chose de frivole. Comme la chose qui n’a pas d’importance. Et c’est là qu’est le point central du jeu sérieux : je suis ici pour vous dire que le fun n’est pas une chose frivole, mais qu’il est un aspect fondamental de la nature humaine et nécessaire à la survie. Notre but est donc de sauver la race humaine de l’extinction.”

“Les jeux sont comme des versions cartoons des problèmes les plus complexes du monde réel. Serpents et échelles ? C’est de la géométrie euclidienne ! C’est un espace cartésien. Il possède même des trous de ver, par tous les dieux ! Qui dans cette salle enseigne la physique ? La théorie des supercordes ? Jouez à un jeu ! Les jeux sont une distillation des schémas cognitifs. “

Du coup, on peut se demander si le jeu ne pourrait pas remplacer purement et simplement l’éducation traditionnelle. C’est le pari qu’ont pris, à New York, les créateurs d’une école entièrement centrée sur le jeu vidéo, Quest to learn (La Quête de l’apprentissage). Cette institution éduque 72 enfants de niveau collège par l’intermédiaire de modules ludiques tels Codeworlds (qui regroupe math et anglais), “Being, space and place” (”être, espace et place”, pratique transversale de l’anglais et des sciences humaines), ou “The way things work” (”comment les choses marchent”, consacré aux maths et aux sciences). A noter également la présence d’un “module” dédié à la conception de jeux. C’est important. Car dans un monde à venir dominé par l’esprit ludique va s’imposer la nécessité d’un nouvel alphabétisme : savoir créer ses propres jeux. Des systèmes comme Kodu, Alice ou Scratch, qui enseignent aux jeunes de 7 à 77 ans comment concevoir leurs propres jeux vidéos, pourraient bien faire partie du bagage indispensable de l’honnête homme du XXIe siècle.


Retrouvez tous les articles de notre dossier jeux vidéo:

- Fais-moi jouer, fais-moi jouir
- Lara, Zelda, Samus: pourquoi sont-elles aussi sexy ?

ff

Billet initialement publié sur InternetActu dans le cadre d’un dossier sur le serious game. Les autres parties :

2e partie : Les nouvelles formes de jeu
- 3e partie : Le jeu, catalyseur de l’intelligence collective
- 4e partie : Le jeu est le futur du travail
- 5e partie : Le jeu est l’arme de la subversion

Images CC Flickr
~Jin Han ~ H is for Home ; une : A*A*R*O*N

MAJ 01042011
photos via flickr par Stuck in Customs [cc-by-nc-sa]

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