OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Thanatopraxie urbaine: y a-t-il une ville après la mort ? http://owni.fr/2011/06/09/thanatopraxie-urbaine-y-a-t-il-une-ville-apres-la-mort/ http://owni.fr/2011/06/09/thanatopraxie-urbaine-y-a-t-il-une-ville-apres-la-mort/#comments Thu, 09 Jun 2011 08:17:45 +0000 Philippe Gargov http://owni.fr/?p=66983

C'est mémé. N'oublie pas de prendre du pain dans cette boulangerie, il est très bon.

Et si les morts contribuaient à redonner vie à nos sociabilités urbaines ? La proposition peut paraître étrange, j’en conviens… Et pourtant, l’idée semble répondre avec une certaine pertinence à quelques enjeux majeurs de la ville hybride, et notamment à la question qui nous anime tous : comment recréer du lien social (en particulier intergénérationnel) dans la ville moderne ?

Ma proposition, que je vais tenter d’expliciter après l’avoir brièvement exposée ici, consiste à croiser la quête de « l’immortalité numérique » (cf. transhumanisme) aux fameuses folksotopies conceptualisées sur ce blog (= contributions géolocalisées contribuant à étoffer la « mémoire » subjective rattachée à un lieu).

Et parce que les néologismes sont toujours utiles pour rendre compte de ces concepts encore flous, j’ai baptisé « thanathopraxie urbaine » cette invitation à repeupler la ville de nos ancêtres d’outre-tombe (c’est un presque-néologisme, en réalité). Vous voulez en savoir plus ?

Des faire-part de décès affichés aux côtés de pub auto

Tout est né d’une visite en Bulgarie à l’automne dernier. Comme je l’avais raconté ici, j’avais été marqué (pour ne pas dire traumatisé) par la coutume de mes compatriotes à afficher les faire-part de décès dans la rue, au vu et au su de tous. Notez bien : il ne s’agit pas de localiser les faire-part sur des panneaux réservés à cet effet (souvent sur les places de villages ou à proximité de lieux de culte, comme ici en Crète), mais bel et bien d’afficher les nécrologies un peu partout dans la ville : sur les portes, les poteaux électriques, les arbres, j’en passe et des meilleurs. Étranges images, où les photos des morts se battent en duel avec des pubs automobiles…

Seulement voilà : passé ce premier sentiment de malaise, on se rend progressivement compte que ces fantômes urbains témoignent surtout d’un attachement encore vivace aux sociabilités de voisinage, essentielles dans la Bulgarie post-soviétique (qui n’avait pas que des défauts, faut-il le rappeler). Autrement dit, la publicisation des morts dans la ville participe à la consolidation du lien social…

Le transhumanisme à la rescousse

Voilà pour le point de départ de ma réflexion. Vous me direz, une coutume ancestrale et pas forcément très fun, ça ne fait pas une innovation urbaine. Mais associez-la à une forte tendance émergente de la nébuleuse digitale, et l’idée prend une nouvelle envergure. C’est donc là qu’intervient la philosophie transhumaniste, en particulier son regard sur l’immortalité :

Un transhumain serait un homme-plus [H+], un homme qui, fort de ses capacités augmentées par les évolutions techniques et scientifiques brave les contraintes naturelles, allant jusqu’à braver la mort.

C’est en particulier cette réflexion d’Antonio Casilli qui m’a fait réfléchir :

Il y a une relation de correspondance très forte dans la tradition transhumaniste entre l’idée de vivre éternellement [par la cryogénisation] et l’idée de vivre en tant qu’alter-ego numérique [« fantasme de l'avatarisation » selon la journaliste]. Parce que, à un moment historique, dans les années 1990 il y a eu cette confluence, cette fixation entre deux thématiques, grâce à cette idée de l’uploading, du téléchargement du corps et de sa modélisation 3D. Même si c’était un mythe, le fait de vivre éternellement en tant qu’être virtuel était présenté comme la démarche à la portée de tout le monde parce que se connecter à Internet était à la portée de tout le monde.

Concrètement, sur quoi s’appuie cette bravade de la mort ? Un autre article pioché dans cet excellent dossier sur la mort numérique nous en donne la réponse :

Et si à notre mort, cette gigantesque base de données pouvait continuer à vivre de manière autonome ? C’est en tout cas l’ambition de Gordon Bell. Il entrevoit un futur dans lequel longtemps après notre mort nos arrières-petits-enfants pourraient interagir avec notre double virtuel. Un avatar à notre image, qui puiserait dans les centaines de millions d’informations collectées tout au long de notre vie pour adopter nos tics de langage, nos intonations, notre caractère… Ces doubles seraient alors capables de singer notre manière de nous exprimer, pour raconter à notre place les évènements clés de notre vie.

[Bonus : une première ébauche de réflexion sur « l'immortalité Facebook » à lire en conclusion de ce billet.]

Naturellement, le croisement de ces deux réflexions conduit à s’interroger : à quoi ressemblerait une ‘avatarisation’ des morts dans l’espace public de la cité ? En d’autres termes, il s’agit d’imaginer une version numérique et interactive des austères faire-part balkaniques…

Restituer la mémoire des défunts

Il existe déjà des ébauches de services permettant de « faire vivre » les morts sur la toile, tels que 1000memories [en] qui propose aux utilisateurs de poster photos ou pensées sur le profil de la personne décédée. Même s’il ne s’agit ici que de « fleurir » une tombe numérique (avec des « fleurs » certes très personnelles), l’idée est bien de mettre en scène la mémoire intime ; une première ébauche de l’avatarisation ?

Mieux encore, certaines tombes japonaises se sont vues « augmentées » d’un QR Code permettant « d’accéder à la biographie et des photos de la personne », comme me le signalait Émile en commentaire.

On retrouve dans ces questions mémorielles une idée similaire à celle qui structure le concept des folksotopies, cette « mémoire des lieux » dont je vous parlais l’hiver dernier. Pour rappel :

On pourrait ainsi imaginer un nouveau type de mobilier urbain dédié aux folksotopies, qui traduirait in situ la teneur qualitative et quantitative des contributions (un jeu de couleurs, de sons ou de lumières ?) [...] Il s’agira d’introduire dans nos rues de nouveaux objets (ou d’en détourner d’anciens) qui pourraient donc faire office de « feux de camp » mémoriels.

Si j’avais d’abord imaginé ces objets urbains pour la mémoire des vivants, rien n’empêche de leur faire restituer la mémoire des morts… !

Il s’agirait donc d’imaginer des objets ou des services urbains permettant de mettre en scène, dans l’espace public de la cité, la mémoire de ces morts – voire carrément leurs avatars autonomes quand la technologie le permettra. Je vous laisse imaginer le potentiel de telles interfaces, notamment en termes de sociabilité…

Quelques exemples basiques : on pourrait imaginer que des habitués du quartier partagent des récits de vie ou des souvenirs à propos d’un lieu (anecdotes, historique, etc.), qu’ils donnent des conseils (guider les touristes avec des informations subjectives, partager des recettes de grand-mère ou pourquoi pas aider les enfants à faire leurs devoirs !)… et ce ne sont ici que des propositions ultra-basiques. Avouez que c’est quand même plus sexy que le traditionnel et dépressif monument aux morts des places de village !

C’est d’ailleurs un exercice de créativité que j’avais proposé à une dizaine d’étudiantes de SciencePo Rennes (et qui avaient relevé le défi avec brio). Certaines avaient par exemple proposé une application ludique de « point de paradis » (= gagner sa place au Paradis en priant pour les avatars des morts), d’autres un service touristique de géocontextualisation des morts (proches ou célébrités). Et encore, je vous le fais en résumé, mais il y avait des idées complètement folles intégrées à chaque service imaginé.

Mais attention, l’idée n’est pas juste de « s’amuser » avec la mémoire des morts sans que cela n’ait de réel impact sur les pratiques urbaines des vivants… !

R.I.P. I.R.L. [Rest In Peace In Real Life]

Et c’est là qu’intervient le néologisme tant attendu. En effet, si l’on souhaite apporter une véritable valeur ajoutée à l’avatarisation des morts, il me semble nécessaire de sortir d’une logique égocentrée comme c’est le cas dans la vision transhumaniste (= objectif personnel de faire vivre son propre personnage à travers un avatar ; c’est un peu nombriliste, vous en conviendrez). À l’opposé, il s’agira de mettre les morts « à disposition » des vivants.

Pour cela, il convient de rendre les avatars des morts « présentables » ; pas pour leur bon plaisir, mais afin de les rendre utiles aux utilisateurs qui souhaiteraient entrer en interaction avec leurs « mémoires ». Autrement dit, il s’agira de les rendre opérants et « interactivationnables ».

Dans la vie réelle, c’est justement le rôle de la thanatopraxie (aka l’embaumement), d’où le choix de ce terme comme analogie pour expliciter le sujet du jour (merci à Joël G. qui m’a soufflé cette idée brillante !).

La définition originale nous apprend ainsi :

La thanatopraxie est le terme qui désigne l’art, la science ou les techniques modernes permettant de préserver des corps de défunts humains de la décomposition naturelle, de les présenter avec l’apparence de la vie pour les funérailles et d’assurer la destruction d’un maximum d’infections et micro-organismes pathologiques contenus dans le corps des défunts.

Par analogie, on retiendra donc qu’il s’agit :

  • de préserver des corps de défunts humains de la décomposition naturelle <=> de préserver les données numériques des morts de la « décomposition » naturelle, en particulier liée aux défections de matériel (un disque dur qui rend l’âme, par exemple). Ce n’est pas l’avatar du mort qui risque de mourir, mais bien les serveurs-cercueils qui l’accueillent à cause de leur obsolescence accélérée. Il s’agira aussi de les protéger des virus et hackings potentiels, bien que je trouve au contraire l’idée réjouissante (mais les descendants peut-être moins, puisqu’il s’agit techniquement de dégradation de tombe… )
  • de les présenter avec l’apparence de la vie pour les funérailles <=> de les présenter de sorte à les rendre interactifs et opérants, afin qu’ils répondent aux besoins urbains de leur époque. Cela exige d’y intégrer des algorithmes permettant de « diriger » les avatars des morts en réponse à la mission qui leur est confiée (aider les touristes à trouver leur chemin, par exemple).
  • et d’assurer la destruction d’un maximum d’infections et micro-organismes pathologiques <=> et d’assurer la destruction d’un maximum de « zones d’ombre » qui desserviraient l’image du mort auprès des vivants venus le manipuler. C’est là un point plus douteux, dont il convient à mon avis de débattre. Devrait-on nécessairement ne présenter que de « bons » morts dans la perspective d’une thanatopraxie urbaine ?

Évidemment, se pose finalement la question de fond de ce sujet : les morts pourront-ils refuser d’être manipulés par leurs successeurs citadins ? Existe-t-il un « droit à l’oubli » pour les morts numériques ? Quelles sont les conditions pour reposer en paix dans la vie réelle (RIP IRL, marque déposée) ? Ne serait-il pas pertinent, par exemple, de créer un statut permettant de « donner ses datas à la ville » comme on donne son corps à la science ?

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Je m’arrête ici pour aujourd’hui… mais j’y reviendrai prochainement tant les idées fusent ! Si vous partagez mon enthousiasme, n’hésitez pas à décrire vos idées de services/objets/autres en commentaires ! Si vous êtes designer/artiste, votre patte graphique m’intéresse aussi… Je n’ai pas ce talent, et vous savez comme moi que « le poids des mots, le choc des images… »

Et si vraiment le concept vous motive, j’essayerai d’organiser un petit apéro-atelier créatif… peut-être à Père Lachaise quand les beaux jours reviendront ? :-)

À vos commentaires !

Billet initialement publié sur [pop-up urbain]

Photo Flickr AttributionNoncommercial an untrained eye

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La mort vous web si bien http://owni.fr/2011/02/07/la-mort-vous-web-si-bien/ http://owni.fr/2011/02/07/la-mort-vous-web-si-bien/#comments Mon, 07 Feb 2011 15:15:35 +0000 jessicachekoun http://owni.fr/?p=45586 Cet article a été publié initialement sur Silicon Maniacs.

Owni.fr, l’Atelier des médias et Silicon Maniacs organisent une soirée ludique #jesuismort avec débats, réflexions et expériences autour de l’immortalité à l’ère numérique le 9 février 2011 à La Cantine (Paris).

#jesuismort est un événement multicanal et exploratoire de nouvelles formes médiatiques mêlant web, radio, vidéo, flux, automations, applications webs et réseaux sociaux. Il est organisé dans le cadre de la Social Media Week.

Le rendez-vous est donné dans le quartier latin. Nous sommes à deux pas de la statue de Dante Alighieri, le premier à utiliser le terme de transhumanisme, pour décrire le dépassement de la condition humaine dans » la Divine Comédie”. Un transhumain serait un homme plus, un homme qui, fort de ses capacités augmentées par les évolutions techniques et scientifiques brave les contraintes naturelles, allant jusqu’à braver la mort. Mais définir le transhumanisme aujourd’hui c’est aussi démêler la maille interconnectée qui l’unit à la culture numérique.

Notre rapport à la mort a t il changé au spectre du transhumanisme, du mythe du double numérique et de la cryogénisation ?

Avec Antonio Casilli, sociologue et auteur de « Les liaisons numériques » nous retracerons le parcours historique de ce mouvement porté par des penseurs et rêveurs de l’homme du futur.

Le transhumanisme a-t-il pénétré la culture scientifique ?

Ce terme a fait surface de façon ponctuelle sans qu’il soit possible de reconstruire une ligne cohérente. Il y a toutefois des évocations du même concept de dépassement de la condition humaine. En 1950, le poète Thomas Stearns Eliot, emprunte le verbe « transhumaniser » dans son drame The Cocktail Party.

On est toujours dans le dépassement plus spirituel que corporel ?

Oui, c’est Julian Huxley, le frère de Aldous, qui publie dans les années 1950 un essai, “Transhumanism” dans lequel il commence à évoquer la possibilité d’atteindre une nouvelle phase de la condition humaine grâce aux avancés des techniques et des sciences. On dépasserait, alors, toutes les contraintes d’ordre organique.

Dans les années 1960, 1970, le concept sera récupéré par des penseurs visionnaires, tel Fereidoun M. Esfandiary. C’était un personnage haut en couleur, issu d’une famille de diplomates iraniens. Il avait décidé de changer son nom et se faisait appeler FM2030. Il avait une telle confiance dans ses propres théories, qu’il pensait qu’en 2030 on arriverait à la singuralité, c’est-à-dire au moment où on ne pourrait plus faire la différence entre l’homme et la machine. Etant mort 30 ans trop tôt, il s’est fait cryogéniser. Lorsqu’il utilise le terme « transhuman » dans un article publié en 1974, il s’impose comme une sorte de gourou. Ensuite, il a été proche d’un groupe de transhumanistes californiens, les extropiens. Ces derniers avaient développés une théorie selon laquelle, le monde et l’univers étant dominés par une lois d’entropie, de désordre, les être humains avaient pour responsabilité de développer l’extropie. De rétablir un ordre rationnel capable de faire avancer l’humanité et donc de la faire transhumaniser et posthumaniser. C’est pourquoi ils ont tout de suite trouvé des points communs avec le programme de FM2030.

« Puisque les nouvelles technologies étaient en train de se généraliser, le transhumanisme devenait peut être à la portée de tout le monde. »

Quel est le lien avec le Web ?

Les années 1990, c’est aussi le moment de l’essor du Web, et c’est à ce moment que l’histoire du transhumanisme se lie de manière inextricable avec celle du numérique. La revue Extropy commence à publier des articles présentant la possibilité de devenir transhumain grace aux technologies du virtuel de l’époque. En 1992, ils publient un article devenu une référence : « Persons, Programs, and Uploading Consciousness » de David Ross. C’était un article de fiction dans lequel un héros extropien, nommé Jason Macklin, décide de se faire télécharger dans le cyberespace pour rejoindre tout son entourage qui est déjà passé de l’autre coté. Il se fait scannériser et remodéliser dans le numérique. Il y a un description très précise de cette scène forte, où il se réveille transformé en avatar , et il regarde son corps mort. Aidé d’un chirurgien, il débranche alors les câbles qui tiennent en vie son corps organique. Il ne ressent presque rien en voyant les derniers soubresauts de son cadavre. C’est un moment fort de la cyberculture. Ces auteurs sont en train de mettre sur le même plan théorique le transhumanisme, l’avatarisation en 3D du corps et l’usage du web. C’est un peu la naissance de cette équation selon laquelle tout usager d’une technologie de l’information et de la communication qui s’appuie sur des représentations du corps en ligne serait en train de se transhumaniser. L’imaginaire technologique convoqué par FM2030 était peuplé de super-calculateurs et de laboratoires de biologie moléculaire. Par comparaison, Jason Macklin a besoin d’une technologie beaucoup plus simple. Puisque les nouvelles technologies étaient en train de se généraliser, le transhumanisme devenait peut être à la portée de tout le monde.

« Aidé d’un chirurgien, il débranche alors les câbles qui tiennent en vie son corps organique. Il ne ressent presque rien en voyant les derniers soubresauts de son cadavre. C’est un moment fort de la cyberculture. »

Cette fiction a une portée scientifique car elle s’appuie sur les écrits de Hans Moravec, qui publia en 1988, « Une Vie Après la Vie » (« Mind Children: The Future of Robot and Human Intelligence », Cambridge MA: Harvard University Press), dans lequel il décrit une expérience de pensée similaire à cette scéne. C’est plus ou moins à la même période, en 1994, qu’est mis en ligne le premier avatar médical, développé dans le cadre du Visible Human Project. Il y a donc toute une communauté de gens qui travaillent sur ces thématiques, avec des chercheurs qui donnent une caution scientifique à ce mythe du corps en ligne.

Dans toutes ces expériences, on parle du corps, mais on ne pose pas la question de l’âme, comment ce corps est il incarné ? En quoi, l’incarnation en un avatar, est encore humain ?

Justement là, il y avait une ambiguïté de fond… Pour qu’un être humain soit reconnaissable en tant qu’individu, suffit-il de stocker ses pensées ? Ou alors faut-il aussi stocker, en le modélisant sous forme d’avatar 3D, son corps ? On est face à un souci presque superstitieux de garder une apparence de corps. L’anthropomorphisme représente une polarité importante dans la culture des technologies de l’information et des communications. Car c’est rassurant pour l’usager. Ceci expliquerait, encore aujourd’hui, l’importance des smiley. Ou alors le recours à de nombreuses métaphores, notamment celle de l’inter-face, le fait d’être face à face, une rencontre entre deux visages. Cela rappelle Levinas et l’importance du visage pour faire l’expérience de l’Autre et ainsi, par l’altérité, définir sa propre humanité.

« Il ne faut pas faire d’amalgame entre le désir de perfectibilité du corps repandu chez les transhumanistes et l’eugénisme. »

Les transhumanistes sont parfois taxé d’eugénisme, une recherche de l’être parfait.

Max More, le chef de file des transhumanistes d’obédience extropienne, insiste sur le fait que le transhumanisme n’est pas une transposition de la version nazie du sur-homme de Nietzsche. Ce n’est pas la bête aryenne, le conquérant, le pillard. Selon ses dires, la santé, la confiance en soi des trans-hommes de demain, ira de pair avec leur qualités morales : la bienveillance, l’optimisme, la tolérance.

Il ne faut pas faire d’amalgame entre le désir de perfectibilité du corps repandu chez les transhumanistes et l’eugénisme. Natasha Vita More, avait créé en 2001 une installation web, Primo 3M+ – future physique. Un faux prototype du « corps du troisième millénaire », avec des superpouvoirs grotesques… flexibilité, endurance, performance et même une « communication vertébrale nano-assemblée ».

C’était un clin d’œil évident aux fantasmes hédonistes d’un corps beau et compétitif. Ces super propriétés sont associées à la performance sportive. A ce propos, les recherche de la philosophe, Isabelle Queval montrent, au travers d’ouvrages comme ”S’accomplir ou se dépasser” (Gallimard) que nous sommes tous poussé à dépasser nos propres limites. C’est notre transhumanisme quotidien.

Du coup quand on travaille le corps pour l’améliorer, on finit par devenir immortel ?

Oui l’enjeux de l’immortalité est central. Là on s’éloigne des extropiens, et on peut parler de tous le mouvement transhumaniste. C’est un mouvement vaste, transnational. Surtout il présente un éventail de positions politiques, d’idéologies très disparates. Parmi eux il y a pas mal de personnes qui sont passionnées par la life extension, ce domaine de la recherche biomédicale qui vise à retarder le vieillissement et la mort. Il ne s’agit pas seulement d’améliorer les conditions de vie, pour améliorer l’espérance de vie, mais de garantir à tout un chacun de vivre plus longtemps, jusqu’à 120, 150 ans et pourquoi pas d’éradiquer la mort tout court. Pas mal de transhumanistes sont aussi passionés de cryogénie, parfois ils sont des investissuers ou des clients d’Alcor, la multinationale spécialisée en cryopréservation des corps humains. Mais c’est encore très cher, donc même ceux qui peuvent se le permettre, ne cryogénisent que leur tête. Là on se retrouve face à la superstition ancienne : quel traitement réserver au cadavre ? Dans les sociétés occidentales, l’intégrité du cadavre est une composante importante des pratiques mortuaires et des croyances qui y sont associées. Contrairement à d’autres traditions, comme pour l’hindouisme, il n’y a pas de rituel funéraire de morcellement du corps.

« Il y a une relation de correspondance très forte dans la tradition transhumaniste entre l’idée de vivre éternellement et l’idée de vivre en tant qu’alter-ego numérique. »

Et d’un point de vue pratique, le fait d’être cryogénisé, et de se trouver dans une situation où au moment même où l’on meurt, des hommes en blouse blanche arrivent avec une scie et nous coupent la tête, c’est vraiment quelque chose d’inquiétant. Il me semble que la vidéo de la cryogénisation de Timothy Leary, qui était très violente, a impressionné les personnes qui l’ont vu, et a introduit un élément de méfiance. C’est pourquoi les transhumanistes aujourd’hui ont une attitude extrêmement ambivalente à l’égard de cette démarche. Et cela va au delà de leur foi dans la possibilité d’être un jour ressuscités.

N’y a t’il pas une dichotomie entre l’immortalité par la cryogénisation, et ce fantasme de l’avatarisation ?

Au contraire, je dirai qu’il y a une continuité. Le sens que je cherche à donner à cette restitution historique, est justement qu’il y a une relation de correspondance très forte dans la tradition transhumaniste entre l’idée de vivre éternellement et l’idée de vivre en tant qu’alter-ego numérique. Parce que, à un moment historique, dans les années 1990 il y a eu cette confluence, cette fixation entre deux thématiques, grâce à cette idée de l’uploading, du télèchargement du corp et de sa modélisation 3D. Même si c’était un mythe, le fait de vivre éternellement en tant qu’être virtuel était présentée comme la démarche à la portée de tout le monde parce que se connecter à internet était à la portée de tout le monde.

Au regard de nos pratiques sur internet ?

Ces mythes correspondaient à une phase utopique de la culture des technologies de l’information et de la communication. Aujourd’hui, tout le monde s’est rendu compte que même les usagers qui possèdent un avatar sur Second Life ne sont pas là pour vivre éternellement. On s’est très très vite heurté à la réalité des faits. Nous avons à faire à des technologies qui sont techniquement limitées. Nous vivons un moment historique dans lequel, malgré l’analyse très pertinente d’Evgeny Morozov, « l’illusion internet » ( « The Net Delusion » ) nous a abandonné. Les grands mythes tombent. Même si la phase utopique de la culture numérique est passée, les transhumanistes continuent à exister, à être extrêmement actifs. Il ne faut pas penser les transhumanistes comme inextricablement liès aux TIC. Ils ont tout un éventail technologique sur lequel ils travaillent , ils investissent, et en lequel il posent leur confiance. Par exemple, ils ont beaucoup travaillé sur les nanotechnologies, sur les questions de bio-éthique. Et puis encore une fois, il y a aussi cette question de comment garantir à un nombre croissant de personnes des enjeux de justice sociale.

« Aujourd’hui, tout le monde s’est rendu compte que même les usagers qui possèdent un avatar sur Second Life ne sont pas là pour vivre éternellement. »

En quoi peut-on rattacher la culture transhumaniste à des mouvances qui ont influencé la culture du numérique ?

H+ est vraiment très associé à la situation américaine, d’ailleurs, c’est Remi Soussan qui avait souligne cet élément : le rédacteur en chef de H+ est un personnage que j’ai interviewé, et dont je reconnais l’importance historique. Il s’appelle Ken Goffman mais est plus connu comme RU Sirius. Mais si tu le lis en anglais ça veut dire “es tu sérieux”,”are you serious ? “. Au de là du petit jeu de mots contenu dans son nom, ce monsieur était à l’initiative de la publication de référence de la cyberculture californienne dont le titre était Mondo2000. C’était THE magazine du virtuel au tout début des années 1990, avant Wired. Ils avaient un discours ultra radical, sur l’importance de la virtualité, du numérique etc. Il y a une continuité entre les transhumanistes d’aujourd’hui, leur envie de se légitimer, et ce coté un peu freak, babacool mais très attentif aussi aux avancées technologiques.

Les transhumanistes sont des babacools ?

RU Sirius et ses collègues de Mondo2000 étaient les défenseurs d’une mouvance New Age, où il y avait un mélange joyeux de « disciplines orientales », mysticisme, homéopathie, yoga, drogues psychédéliques. Tout ça mélangé dans un énorme bouillon philosophique. Ces thématiques New Age, on les retrouve mais sublimées, recouvertes d’une espèce de coque technologique. Il sont encore aujourd’hui à la base du transhumanisme actuel. C’est un peu le sang qui coule dans les veines du transhumanisme. Cette pensée, au fond, extrêmement liée au mysticisme, extrêmement soucieuse des questions l’âme, de son amélioration. Mais qui déguise ces soucis par un discours technologique, scientiste et matérialiste…

En fait notre rapport à la mort ne change pas ?

Non, ça ne change pas. Nos superstitions vis-à-vis de la mort sont encore là. Si on regarde le transhumanisme, et si on l’appréhende comme un mouvement transnational, avec différentes composantes, on se rend compte qu’il est enraciné dans le contexte social dans lequel il se développe. Le transhumanisme français et européen n’aura jamais de la même texture que celui que l’on peut rencontrer aux Etats Unis ou en Angleterre. La question philosophique fondamentale est « à qui appartient le corps humain ? ». Evidemment, dans la pensée libérale anglosaxonne, c’est à l’individu même que revient cette propriété. Ce qu’il est possible de faire avec son corps avant ou après la mort est complètement conditionné par un contexte qui n’est pas seulement culturel, mais aussi légal, et institutionnel au sens large du terme. Dans certains pays, il est même difficile d’avoir accès à la procréation assistée. Je pense à l’Italie : imaginez ce que l’Eglise et la droite traditionaliste penseraient d’une démarche comme la cryogénisation ! Ce n’est pas anodin, ce n’est pas simple et cela doit se négocier avec notre contexte social. Est ce que la sécurité sociale va payer les nanotechnologies qui permettrons de vivre jusqu’à 250 ans ? Pendant combien de temps vais-je cotiser ? Est ce que je dois travailler 35 heures si je suis un transhumain aux capacités cognitives sur-développées ? Ce sont des questionnements que je pose sur un ton un peu ironique, mais les réponses sérieuses à ces questions nous amènent à repenser le politique dans lequel notre rapport à la vie et à la mort s’inscrit.

Que peut-on en conclure ?

Finalement, on ne peut pas omettre le fait que notre attitude vis-à-vis de la mort a été batie sur deux millénaires de christianisme. Nous avons donc hérité de ces traditions et de ce que l’on peut se permettre de penser par rapport à la mort. Il y a certaines des possibilités proposées par les transhumanistes qui nous paraissent plus acceptables que d’autres. C’est pourquoi le mythe de l’avatar à un moment donné, nous est apparu préférable à la cryogénisation, parce que cette dernière nous mettait face à un interdit majeur de l’usage du corps mort. Le morcellement du corps n’est pas complètement acceptable, alors que l’avatarisation du corps est parfaitement cohérente avec un imaginaire chrétien qui nous renvoie à Saint Thomas, à la tradition du « corpus gloriosum » du Moyen Âge.

Retrouvez tous les articles du dossier #jesuismort de Silicon Maniacs :

>> Illustration FlickR CC : rizzato

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VENDREDI C’EST GRAPHISM S01E19 http://owni.fr/2010/12/31/vendredi-c%e2%80%99est-graphism-s01e19/ http://owni.fr/2010/12/31/vendredi-c%e2%80%99est-graphism-s01e19/#comments Fri, 31 Dec 2010 07:50:02 +0000 Geoffrey Dorne http://owni.fr/?p=40631 Bonjour toutes et tous !

C’est le retour de Vendredi c’est Graphism avec le numéro 19 tout en couleur, en forme, en graphisme et en concepts ! Cette semaine, on découvrira donc un travail photographique sur la mort, un SpeedRun hallucinant avec Quake I, des petits malins qui s’amusent avec Facebook, ou d’autres petits malins qui nous montrent pourquoi les films de science-fiction ne portent pas toujours bien leur nom de “science” ;-) Je vous ferai aussi découvrir le travail de Ian McQue et un bon petit WTF sur les personnages de jeux vidéo :-) C’est parti !

Allez, on commence la semaine avec un superbe travail photo vraiment intéressant ! Ce travail photographique creuse le fond comme la forme et l’esthétique de la mort subite (rien à voir avec le football ;-) ). Pour de nombreuses personnes, la mort est un sujet qui met mal à l’aise. Est-ce peut-être parce qu’il ya tant de questions sans réponse comme : « Qu’est-ce qui va se passer quand on meurt? » La question reste une lourde tâche, difficile à imaginer… Heureusement, trois étudiants italiens, Andrea Pilia, Adriano Leo et Dario Cataldi, ont étudié à Strasbourg et ont réalisé ce travail photographique qui représente, les quelques minutes ou quelques heures suivant une mort soudaine.

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Allez, ce n’est pas une actu mais une petite découverte de la semaine… Si vous aviez toujours rêvé de terminer Quake I ou de voir comment ce jeu se déroule en long en large et en travers, voici LA vidéo ultime. En effet, ce speedrun a été effectué par les membres de l’équipe Quick Quake qui a ainsi terminé Quake I avec toutes les caches et autres secrets en 52:19. C’est bluffant de précision ! Le jeu vidéo devient là un art méticuleux où la connaissance de chaque niveau et de ses ennemis est sans faille. Je n’ai pas trouvé réellement d’erreur de parcours, c’est donc la façon la plus ultime de finir Quake I.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

source

Vous le savez sûrement, Facebook a changé d’affichage de profil il y a quelques semaines et depuis, les utilisateurs un peu créatifs s’amusent à réaliser des combinaisons de photos ouvrant la porte à de nouvelles possibilités graphiques assez originales. En tout cas, cela permet d’ouvrir les yeux sur le fait que Facebook est “un tout petit peu flexible” et, pourquoi pas un potentiel terrain de jeu graphique ? ;-)

source

Toujours cette semaine, voici la publication d’un petit tableau comparatif entre les expériences cinématographiques et les vérités physiques de notre monde. Après tout, qui aurait envie de voir Han Solo passer des années pendant son voyage à Alderaan, pour constater que la planète a deux fois la gravité terrestre et qu’il peut à peine tenir debout ? Hum, c’est nettement moins rigolo vu comme ça !

Donc, pour rappel :

  • Il n’y a pas de son dans l’espace;
  • Toutes les planètes n’ont pas la gravité de la Terre;
  • Les planètes ont des climats différents sur leur surface… au lieu d’un climat “unifié” qui donnerait une planète désertique ou une planète de forêts;
  • Il ne devrait pas être si facile de communiquer avec des créatures extraterrestres sans une sorte de technologie très très avancée;
  • Les humains exposés au vide sans une combinaison spatiale ne devraient pas exploser ou imploser. De même, lorsqu’un vaisseau spatial est perforé, l’équipage du navire est exposé au vide et tout le monde meurt  instantanément;
  • Il ne peut pas y avoir de feu dans l’espace;
  • Les gens ne peuvent pas esquiver les lasers et autres armes qui vont à la vitesse de la lumière;
  • Et il n’y a aucune raison pour que quelqu’un puisse se déplacer au ralenti dans l’apesanteur;

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Allez on enchaîne l’actualité graphique de la semaine avec le travail du talentueux artiste Ian McQue ! Ce monsieur de Edinburgh s’exerce à la peinture numérique (comprenez sur ordinateur, avec une tablette graphique) depuis quelques années déjà et réalise ainsi des scènes futuristes impressionnantes et très très détaillées. On sent les heures de travail passées sur ses œuvres, c’est vraiment superbe !


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Le WTF de la semaine sera “Comment est-ce que les designers de jeux vidéo créent leurs personnages ?”… Facile en fait !

Pour conclure ce “Vendredi c’est Graphism!” je vous souhaite à toutes et tous de très bonnes fêtes de fin d’année, un bon passage à 2011 et plein de petits plaisirs graphiques à vous mettre sous la dent ;-)

Au fait… si vous avez des cartes de voeux sympas et graphiques pour 2011, n’hésitez pas à me les envoyer par twitter ou par mail !

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http://owni.fr/2010/12/31/vendredi-c%e2%80%99est-graphism-s01e19/feed/ 2
“Le web est mort”, c’est Chris Anderson qui le dit http://owni.fr/2010/08/18/%e2%80%9cle-web-est-mort%e2%80%9d-c%e2%80%99est-chris-anderson-qui-le-dit/ http://owni.fr/2010/08/18/%e2%80%9cle-web-est-mort%e2%80%9d-c%e2%80%99est-chris-anderson-qui-le-dit/#comments Wed, 18 Aug 2010 07:58:30 +0000 Benoit Raphaël http://owni.fr/?p=25078 Je posais la question il y a deux semaines : Chris Anderson, le patron de Wired et auteur visionnaire de “The Long Tail”, s’apprêtait à publier un édito consacrant “La Mort du Web”.

Finalement, Wired a bien publié son “avis de décès”. Dans un article à quatre mains appuyé par un graphique qui semble tout dire. Il montre la part déclinante du web dans l’ensemble des activités Internet :

Un graphique impressionnant, aussitôt relativisé par “Boing Boing”. Après avoir replacé les chiffres dans le bon sens, c’est à dire en tenant de compte de l’évolution du trafic, le célèbre blog nous propose le graphique suivant :

Ce qui veut dire la même chose, à une différence près : le web n’est pas déclinant. Il augmente moins vite que le reste. Et encore, ajoute Boing Boing, le reste (vidéo streaming, file sharing…) est “souvent inclus dans le web également”.

Et Techcrunch de préciser que les vidéos de Youtube n’ont pas été incluses dans la partie web, mais mêlées aux vidéos avec les communications Skype. Ce qui prête effectivement à confusion, même si l’on peut imaginer que les vidéos YouTube seront de plus en plus visionnées sur mobile.

Au delà de la polémique des chiffres, si Chris Anderson veut sonner la mort du web, c’est pour mieux parler d’Internet: “Web is dead, long life to the Internet”, c’est le titre de sa tribune.  Si le Web est mort, l’Internet est bien vivant.

C’est une mort symbolique qu’il prône, dans une vision tribale. Comparant le web à une adolescence utopiste, il veut voir émerger un monde mature où la clef est la communication entre les interfaces (vive le XML) et/ou les machines, où l’écran vient à l’utilisateur (vive le mobile..) et où la technologie s’efface devant le contenu et la qualité du service (vive Apple!).

Un monde où l’on passe de l’univers ouvert mais fragile économiquement à un univers fermé où les modèles économiques sont plus solides : celui des applications mobiles notamment.

“A chaque fois que vous utilisez une application au lieu d’aller sur le web, vous votez avec votre doigt”, sentence-t-il.
Un changement qu’il illustre avec le tableau suivant :

Et l’auteur de “Free” de prôner le “freemium”, ce en quoi il n’a pas tort. Et la souscription face à la syndication RSS. Dans la foulée, il “tue” la publicité déclinante, noyée par le User Generated Content. Sur ce point, il avance un peu vite. La publicité souffre parce qu’elle est mal déployée sur le Net. Elle devrait relever de la relation du consommateur à la marque, et pas du simple affichage. Et s’il l’UGC chaotique “noie” la qualité, il suffit de trier pour lui redonner de la valeur. Bref. Il y a encore du boulot pour les créatifs.

Cependant, l’évolution va effectivement dans le sens d’un Internet connecté, et repackagé en permanence, plus que vers l’open web que nous connaissons. C’est un peu Apple contre Google, même si Google avance à vitesse grand V sur le mobile (et aussi sur l’Internet fermé…)… Mais attention aux décisions hâtives, car le Net évolue vite.

Il faut s’équiper pour s’adapter, pas pour changer de support !

Je ne prônais pas autre chose il y a 15 jours, anticipant l’argumentaire d’Anderson : “Le web est mort, peu importe”:

“La question n’est finalement pas de savoir s’il faut investir dans une application ou dans un site web. Mais d’être capable d’organiser un média en un flux organisé qui accompagne l’utilisateur partout où il se trouve. Et sans rupture.

“C’est le principal enjeu de ces prochaines années. L’avenir est aux médias capables de structurer leurs données, mais aussi l’interactivité entre les utilisateurs et leurs données. Aux médias capable de faire vivre leurs données sur les différents espaces de navigation (mobile, application mobile, les navigateurs des tablettes, des ordinateurs, mais aussi sur Facebook…). C’est à dire faire interagir données et utilisateurs sur un réseau qui sera de plus en plus indépendants de ses supports.”

Crédit photos CC FlickR: mikeleeorg
Article précédemment publié sur le blog benoitraphael.com

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http://owni.fr/2010/08/18/%e2%80%9cle-web-est-mort%e2%80%9d-c%e2%80%99est-chris-anderson-qui-le-dit/feed/ 8
Le web, mort?|| Autant se demander si le papier l’est aussi! http://owni.fr/2010/08/03/le-web-mort-autant-se-demander-si-le-papier-lest-aussi/ http://owni.fr/2010/08/03/le-web-mort-autant-se-demander-si-le-papier-lest-aussi/#comments Tue, 03 Aug 2010 12:51:19 +0000 Benoit Raphaël http://owni.fr/?p=23745 La question est lancée par un blog américain qui se demande si Chris Anderson, le patron de Wired, n’a pas l’intention d’en faire la prochaine couverture de son magazine. “The Web is Dead” expliquerait que l’arrivée des mobiles et de l’iPad auraient sonné le glas de cet ancien monde que serait devenu le WWW.

Chris Anderson fait partie des visionnaires de notre temps, il est le premier à avoir parlé de la “longue traine” (“The Long Tail“). Il est également l’auteur de “Free”, qui explique que nous sommes entrés dans l’économie du gratuit. Il est possible qu’il n’ait pas écrit d’article prônant la mort du web, mais le simple fait qu’on se demande s’il ne serait pas en train d’y penser, est révélateur des interrogations du moment sur l’avenir de l’Internet.

Et donc, notamment, des prochains investissements des médias.

L’évolution du marché mobile est sans équivoque. 92% de pénétration de la 3G en 2014 en Europe de l’Ouest (selon Morgan Stanley), multiplié par 4 selon Forrester qui prévoit une pénétration de l’Internet mobile de 41% (67% en 2009 pour l’Internet via un ordinateur).

Nous allons clairement vers la mobilité qui, sur le marché dominant des iPhones et des smartphones Android, se manifeste par une tendance à utiliser l’Internet via les applications, au détriment du web (du navigateur web).

Pour autant, la messe est-elle dite ?

Voici quelques pistes.

1) Tablettes: le retour du web

L’arrivée de l’iPad, qui réconcilie l’ordinateur avec la mobilité, continue de dynamiser le marché des applications. Mais il sonne également le retour du web. L’iPad est un excellent navigateur. Et bon nombre d’applications devenues indispensables sur iPhone en raison des limitations ergonomiques de son navigateur (liées au petit écran), ne le sont plus sur l’iPad. Les médias devraient donc réfléchir à deux fois avant de délaisser le web pour se ruer sur les apps.

Par contre il faudra s’adapter aux écrans, et aux usages de navigation sur tablette tactile.

2) Le média personnel

Sur les tablettes, la bataille sera aussi celle des applications d’agrégation: l’ère des médias personnels, comme Pulse, Appolo, Flipboard ou The Early Edition, qui s’adapte à vos usages de lecture et à votre réseau social pour proposer une information de proximité et personnalisée, agrégeant plusieurs sources. Et qui vous accompagne où que vous soyez.

3) La continuité des écrans

La question n’est finalement pas de savoir s’il faut investir dans une application ou dans un site web. Mais d’être capable d’organiser un média en un flux organisé qui accompagne l’utilisateur partout où il se trouve. Et sans rupture.

C’est le principal enjeu de ces prochaines années. L’avenir est aux médias capables de structurer leurs données, mais aussi l’interactivité entre les utilisateurs et leurs données. Aux médias capable de faire vivre leurs données sur les différents espaces de navigation (mobile, application mobile, les navigateurs des tablettes, des ordinateurs, mais aussi sur Facebook…). C’est à dire faire interagir données et utilisateurs sur un réseau qui sera de plus en plus indépendants de ses supports.

A voir, à ce propos, la conférence de Vin Cerf, l’inventeur de l’Internet, qui partage sa vision du futur. Il imagine une “connectivité omniprésente, qui augmenterait notre rapport sensoriel avec le monde réel”.

4) La disparition des supports

Car l’avenir réside bien dans cette connectivité permanente. Dans l’utilisation du réseau et de la technologie pour nous aider à interagir avec le réel. Ce qui nous amène peu à peu à faire disparaître les interfaces technologiques pour retrouver une interaction naturelle et intuitive avec les données réelles ou virtuelles.

La Wii de Nintendo, mais aussi le projet Natal (Kinect) de Microsoft, font peu à peu disparaître les manettes de jeu au profit de la reconnaissance gestuelle, via différents capteurs. Suivant la même tendance, l’iPhone efface la complexité de l’interface et nous fait retrouver des gestes qu’un enfant adopte intuitivement: tourner des pages, interagir avec notre environnement réel grâce à la réalité augmentée.

Si vous n’êtes pas convaincus par la disparition des interfaces, je vous invite à visionner cette démonstration incroyable d’un ingénieur indien, Pranav Mistry, diplomé du MIT: sa technologie (“SixthSense”) permet de faire disparaître l’outil ordinateur ou téléphone, pour permettre à l’utilisateur d’interagir avec les données partout où il se trouve.

L’avenir est donc bien à la structuration des données dans un univers de connectivité permanente qui s’affranchit des outils, pas à la guerre des supports. Le web est mort ? Peut-être. Le téléphone mobile ? Sans doute dans dix ou quinze ans. Peu importe.

Le web est mort ? Autant se demander si le papier est mort…

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Billet initialement publié sur la Social NewsRoom de Benoît Raphaël.

Crédits Photo CC : Greg MarshallElliot Lepers, Martin U.

(Illustration : Chris Anderson par Robert Shaer)

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Le Web 2.0 est mort (et n’a jamais existé) http://owni.fr/2010/07/14/le-web-2-0-est-mort-et-na-jamais-existe/ http://owni.fr/2010/07/14/le-web-2-0-est-mort-et-na-jamais-existe/#comments Wed, 14 Jul 2010 11:40:27 +0000 Guillaume-Nicolas Meyer http://owni.fr/?p=21832

C’est dans les bacs, les spécialistes le savent… Le web 2.0 est mort ou en passe de l’être… Pour autant, a t-il jamais existé ?

On nous rabâche les oreilles depuis 2005 de ce web 2.0 et il y a toujours autant de gens qui disent n’importe quoi. « Oui, le web 2.0 c’est les nouvelles technologies ! »

Faux ! Les technologies n’ont pas évoluées, c’est juste leur usage qui a changé. Ce qui fait que bien vite des experts se sont posé la question suivante :

Phénomène réel reposant sur un changement technologique et une rupture d’échelle liée la croissance du nombre d’utilisateurs ou récupération marketing de technologies anciennes rafraichies par un nouvel engouement public ?

Or, les premiers à nous en parler, comme Fred Cavazza conclut aujourd’hui :

Oui il y a bien eu des grands tournants mais les fondamentaux de l’internet de 2010 étaient déjà présents en 2000.

Or donc, le web a évolué, oui, et il va continuer à le faire. Mais le web, c’est comme un individu : vous n’êtes pas Raymond 72.0, vous êtes Raymond.  Même si Raymond est né (1.0), qu’il a appris à manger (2.0), à marcher (3.0), à parler (4.0), à lire (5.0)…. et à re-porter des couches à un âge avancé (Raymond 71.0)…. c’est toujours Raymond.

Pour le web, c’est pareil. Les nouveaux usages, le nombre impressionnant d’utilisateurs, les interfaces graphiques de plus en plus riches, toutes ces évolutions ont profondément transformé notre écosystème médiatique et notre rapport à l’information.

Prenons le cas de Facebook ou de Twitter. Techniquement, il n’y a rien de nouveau, il s’agit de page personnalisée accessible par login et mot de passe qui affiche du texte et des liens… Fondamentalement, c’est le web d’il y a vingt ans.

Si on fait le parallèle avec un individu, le web sort de son adolescence. Après s’être cherché pendant des années (les services les plus innovants et à la croissance exponentielle n’ont pas de business model), le web décide enfin de choisir une orientation. A la question « qu’est-ce que tu feras quand tu seras grand ? », le web répond aujourd’hui « je serai social ! » .

C’est pour cela qu’explosent de nouvelles professions comme « community manager », consultant en e-influence, gestionnaire de e-reputation, etc… Les marques l’ont bien compris la e-reputation a intégré toute les stratégies de Risk Management et le crowdsourcing n’est plus un mot dont les cadres recherchent le sens (enfin normalement).

Or donc, je suis ravi d’annoncer que le web 2.0 est mort, fini l’adolescence. Il va enfin devenir adulte. J’espère que son âge de raison lui permettra d’offrir les grands mythes de sa conception à l’humanité :

  • un accès aux savoirs pour tous,
  • des échanges planétaires au delà des langues (le fameux web de Babel),
  • la démos-cratie participative (intelligence collective et plus manipulation de masse).

Ce qui devrait passer par :

  • la refonte complète du réseau Internet qui a plus de 35 ans,
  • la mutation des tag cloud et folksonomy en liens sémantiques,
  • la disparition des agrégateurs au profit de filtres personnalisés et éthiques,
  • la réintroduction de gatekeepers pour éviter, prévenir ou amenuiser les phénomènes de contagion virale et de manipulation des masses,
  • un réinvestissement de l’information (ce qui est important est le message, pas ses métadonnées, méta-informations, tags, modes d’indexation…).

Sources :

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Billet originellement publié sur le blog de Guillaume-Nicolas Meyer, sous le titre “Le web 2.0 est mort, fini l’adolescence“.

Crédits Photo CC Flickr : Inju.

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RIP http://owni.fr/2009/12/12/rip/ http://owni.fr/2009/12/12/rip/#comments Sat, 12 Dec 2009 10:09:48 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=6139 Cliquer ici pour voir la vidéo.

lol.

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Les enfants de l’esprit http://owni.fr/2009/11/27/les-enfants-de-lesprit/ http://owni.fr/2009/11/27/les-enfants-de-lesprit/#comments Fri, 27 Nov 2009 08:25:54 +0000 Agnès Maillard http://owni.fr/?p=5763

On ne naît pas femme, on le devient, écrivait Simone de Beauvoir dans Le Deuxième sexe. En fait, l’étude de l’éthologie et la longue observation des personnes que j’ai la chance de côtoyer m’ont enseigné qu’on ne naît finalement pas grand chose, ce qui ouvre un vaste champ de possibles, de la même manière qu’on ne naît jamais seul au monde, mais avant tout dans le regard des autres.

Reconquista

L'échappée belleDe la même manière que le pénis de l’homme ne fait pas la femme en la pénétrant, l’enfant ne fait pas les parents en naissant. Je discutais dernièrement avec un ami de la parentalité, dans laquelle je me sens tellement insuffisante, et de la manière dont s’était construit mon désir d’enfant, un peu à rebrousse-poil de ma personnalité et de mes inclinations naturelles, et j’ai compris, à travers son propre récit, que nous étions tous, plus ou moins, logés à la même enseigne. Nous finissons généralement par oublier, ou remiser tout au moins dans quelque recoin peu fréquenté de notre mémoire, tout ce cheminement particulièrement intime qui a fait qu’un jour, nous avons cessé de nous percevoir comme strictement les enfants de pour envisager de devenir les parents de, à notre tour. J’ai toujours été sévèrement agacée par les discours lénifiants sur les merveilles de l’instinct maternel, sur ce présupposé naturel qui court dans nos veines et nous rendrait tellement enclines à ouvrir les cuisses à celui qui nous fertilisera et nous accouchera, en quelque sorte, de notre plénitude de femmes enfin accomplies dans la maternité. Ce fichu instinct maternel a probablement plongé des générations de jeunes femmes dans les affres d’une horrible culpabilité, voire d’une implacable négation de soi et de ses désirs profonds, quand elles ne l’ont pas ressenti dans leurs tripes, que ce soit dans l’élan fécondateur ou dans le maternage attentif.

En creusant bien la question de l’être et du paraître, je me dis que nous sommes le fruit de regards croisés : ceux que posent sur nous nos proches, la société, les autres, et celui, encore plus grave, inquisiteur et intransigeant, que nous portons sur nous-mêmes. Parce que j’ai déclaré haut et fort que l’instinct maternel est une vaste fumisterie phallocrate, parce que je n’ai jamais été attirée par les bébés comme par un aimant, j’ai été jugée par la part la mieux attentionnée de mon entourage comme mauvaise mère avant même d’avoir acheté le seul et unique test de grossesse que je n’ai jamais utilisé de ma vie. Et ce regard, dur, définitif et condescendant a manqué sceller mon destin de mère et par ricochet, celui de ma fille. Tout cela parce que l’on existe avant tout dans le regard des autres et que celui-ci agit sur nous comme des lunettes correctrices lorsque nous faisons face à nous-mêmes, même dans la plus stricte intimité morale et intellectuelle.

Je n’ai même pas terminé le long parcours de conquête de ma propre féminité. Parce que je n’étais pas terriblement portée sur le froufroutant et l’esthétique futile, j’ai longtemps été cantonnée aux rôles de garçon manqué ou de bonne copine. Et il s’agit là de manières d’être que j’ai moi-même parfaitement intériorisées, jusqu’à ce que je change de point de vue, par la grâce, peut-être, d’un autre discours extérieur et que je décide d’exister enfin pleinement en tant que femme, non pas comme pur esprit féministe et fier de l’être, mais aussi comme créature complète, habitant enfin totalement ce corps de femme qui m’a été donné par les caprices de la génétique et dont je pouvais, au choix, faire un vaisseau splendide ou une vieille carcasse. Reprendre le contrôle de ce corps qu’une éducation cartésienne m’avait fait dédaigner au profit des plaisirs purement intellectuels a effectivement été une reconstruction tant mentale que physique dont la réussite a été précisément amplifiée par le changement de regard que les autres portent à présent sur moi, tant au niveau de l’enveloppe que du contenu. Je m’amuse encore monstrueusement d’avoir atteint un nouveau degré d’évolution personnelle en passant par le sport, moi qui ai toujours tenu les pratiques sportives en grand dédain pour ne pas dire en pure aversion. Le fait de ne pouvoir habiter mon propre corps m’avait amputé de la grande richesse sensorielle dont cette interface sublime peut nourrir un esprit ouvert. Je ne percevais que l’effort et la souffrance, là où il pouvait aussi y avoir de grandes satisfactions mentales. Il y a un yaourt qui prétend modifier notre apparence physique en améliorant notablement notre transit intestinal, quelque chose du genre : ce qu’il vous fait à l’intérieur se voit à l’extérieur. Mais ce jeu de poupées russes fonctionne à l’infini, comme un reflet dupliqué par une batterie de miroirs. La modification du corps par nos pratiques change notre rapport au monde, tant par ce que nous émettons de nous-mêmes comme message brut que par ce qui nous est renvoyé, par la sanction du regard social. De me sentir plus femme me rend effectivement plus femme, de me percevoir comme mère améliore mes relations avec ma fille, laquelle existe d’abord parce que je l’ai voulue.

Petite chose

Ce sac de vêtements pour enfants qu’elle vient de me donner pèse bien plus à mon bras que la somme des couches de tissus soigneusement pliés et repassés qu’il renferme. Parce que ce sac de vêtements signifie plus que le don qu’il est réellement, parce qu’il a une histoire qu’elle est en train de me raconter de sa voix chantante qu’un à-coup d’émotion vient parfois érailler. Dans ce sac de supermarché, ce matin, elle a soigneusement rangé son désir d’enfant et de ce sac de supermarché, c’est l’histoire de son petit dernier qui ressort. Celui qui n’est pas là. Celui qui n’a pas de nom. Pas de visage. Même pas de sépulture.

Cela a commencé avec ce don de vêtements, cela a continué avec une vanne sur mes aventures gynécologiques et comme si une digue rompait soudain, elle a enchaîné avec sa fausse couche de l’année dernière. À cinq mois de grossesse. D’ailleurs, ce n’est plus vraiment une fausse couche, c’est plutôt l’histoire d’un trop grand prématuré. Elle raconte sa peur quand la poche des eaux s’est rompue, la course aux urgences, l’attente, dans l’espoir que la poche se reconstitue, tous ces moments où elle le sent bouger en elle et où elle doit commencer à envisager sa mort, et puis, finalement, l’accouchement tragique, parce que c’est bien d’un accouchement qu’on parle, l’accouchement qui va tuer son enfant. Pas vraiment une fausse couche, donc, mais un vrai deuil, sans rien, rien à quoi se raccrocher, rien à se rappeler, rien qui subsiste si ce n’est ses souvenirs immensément douloureux. À deux semaines près, il aurait eu un état civil. Mais là, rien. Rien de rien. Aucune trace tangible, à peine plus qu’un rêve.
Ou un cauchemar.

Il s’agit là de quelque chose de profondément intime et douloureux, et je reçois cette confession avec la délicatesse que je mettrais à accueillir un nouveau-né dans mes mains. Les mots jaillissent, se bousculent, parfois dérapent, vacillent et repartent de plus belle. Ils ont tenté d’en refaire un autre dans l’élan, comme tout le monde le leur a conseillé, mais cela s’est encore soldé par une fausse-couche, à deux mois de grossesse. Pas quelque chose d’aussi lourd que cet accouchement donneur de mort, mais peut-être pire encore, parce que ce nouvel échec a rouvert encore plus grand la douleur refoulée de l’enfant non-né. Elle commence son travail de deuil, finalement, avec ce sac de fringues pour la gosse. Jusqu’à présent, elle gardait précieusement les vêtements de ses deux grands pour le petit troisième, mais, là, elle n’y croit plus. D’ailleurs, pour elle, c’est comme si elle avait eu trois enfants. Parce que ce troisième, ce fils absent, ce manque immense, elle avait commencé à le faire vivre dans son esprit, elle l’avait porté dans son imaginaire bien plus longtemps que dans son ventre. Et je comprends son désarroi de n’avoir plus aucune trace de lui, plus rien à regretter, plus rien à enterrer.
Dans le même temps, je repense à ces mères qui accouchent presque sans le savoir, parce que cet enfant qui sort de leur matrice n’est pas né dans leur esprit, n’a pas grandi dans leur tête. Ces impensés qui n’existent donc pas, que l’on ne peut donc pas faire naître ni disparaître.

Je me demandais, l’autre jour, si je n’étais pas le rêve éveillé d’une cavalière traversant des steppes sans fin. Même dotés de nos corps sensibles qui nous rattachent au monde des vivants à chaque inspiration happée sur le chaos, notre propre existence a parfois, aussi, ce petit côté miraculeux et intangible qui nous fait chevaucher les frontières de l’imaginaire et douter de notre propre matérialité. Mais je repense à présent au chagrin insondable de cette mère, à la manière dont elle fait vivre, jour après jour, cet enfant qui n’est pas né, à la force de son souvenir et de son amour qui arrachent ce petit d’homme au néant dont il n’est pourtant presque pas sorti. Il existe parce qu’elle se souvient. J’existe parce que vous êtes là. Nous existons, parce que nous sommes ensemble. Tous nés du regard et de l’esprit de l’autre.

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