OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Sarkozy valse avec la Culture http://owni.fr/2011/11/18/nicolas-sarkozy-internet-culture-avignon-2012-presidentielle-hadopi/ http://owni.fr/2011/11/18/nicolas-sarkozy-internet-culture-avignon-2012-presidentielle-hadopi/#comments Fri, 18 Nov 2011 13:41:36 +0000 Andréa Fradin et Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=87467 Nicolas Sarkozy s’adressait ce vendredi, aux environs de midi, au gratin culturel réuni au Forum d’Avignon. Un déplacement scruté à la loupe par les milieux du numérique et de la culture, qui s’opposent de plus en plus au sujet de la régulation du net. Le “propos liminaire” du chef de l’État exige donc une souplesse d’équilibriste. Il nécessite de jongler entre des acteurs culturels favorables à une régulation du net agressive, et une communauté Internet que la majorité essaye de séduire depuis avril 2011.

L’exercice est périlleux. Les traces du discours sont réduites au minimum. Aucun streaming de l’événement n’a été assuré, aucun direct radio ou TV n’aurait été autorisé. Nicolas Sarkozy aurait fait le choix d’une improvisation, laissant de côté le discours prévu : autrement dit, la publication d’un texte sur le site de Élysée n’est pas assurée… Seul un montage vidéo réalisé par France Télévisions, qui détenait l’exclusivité, a été mis en ligne peu de temps après cette intervention.

Seul lien direct avec l’évènement: Twitter, sur lequel quelques participants connectés envoient des bouts de phrases du président. Et le contenu de l’intervention présidentielle vaut le détour. En rappelant, comme au cours de ses vœux aux acteurs du monde de Culture en 2010 ou de son discours à l’eG8, que le droit d’auteur avait été inventé par Beaumarchais, en France, le Président flatte son auditoire. Composé de professionnels du secteur culturel, il est attentif aux lieux communs tels que :

La culture, c’est le contraire du sectarisme.

Il faut une nouvelle économie pour les acteurs de la culture qui ne les ruine pas.

La culture, c’est ce qui donne du sens.

Hadopi 3, la revanche

Au-delà, le président en campagne s’est confié, affirmant qu’on lui avait prédit la perte de l’élection présidentielle si il ne renonçait pas à défendre le droit d’auteur. Mais Nicolas Sarkozy n’est pas homme à renoncer, ni à plier devant les revendications des “intern-autres”. Surtout devant un monde culturel plutôt satisfait de la mise en place de la Hadopi. Une haute autorité qui selon lui a fait baisser le piratage de 35%, chiffre qu’aucune étude sérieuse ne vient appuyer.

Sur cette question, le président de la République veut aller plus loin. II a évoqué l’utopie séduisante d’une Hadopi 3, pour contrer le streaming: “l’idéologie du partage, c’est je vends d’un côté et je vole de l’autre ; je veux une Hadopi 3”. Une autorité qui en juin 2012 pourrait selon les souhaits de ses dirigeants, devenir l’instance principale de régulation de l’Internet. Un Internet qui fait décidément toujours aussi peur à Nicolas Sarkozy, qui aurait affirmé qu’on pouvait trouver des bombes sur le réseau, en faisant référence à l’attentat de Marrakech.

Le président en a également profité pour dérouler son programme et évoquer la création d’un centre national de la musique financé par une taxe sur les fournisseurs d’accès à Internet. La tribune de ces derniers dans Le Monde n’a donc pas porté ses fruits. Le président de la République en a également profité pour réaffirmer son opposition à l’idée de licence globale.

En installant le Conseil National du Numérique en avril 2011 et en plaçant Internet au cœur des préoccupations du G8, Nicolas Sarkozy a tenté de réécrire la relation qui le lie au net. Son allocution du jour semble confirmer que la variation n’est qu’un arrangement cosmétique et électoraliste. Un grand écart postiche, que les acteurs du net ne manqueront pas de souligner ces prochains jours, à l’occasion des “journées du numérique”. Énième opération com’ voulue par le Président.


Merci à Pascal Rogard pour son suivi précis ainsi qu’à Anti-nanti pour les illustrations


En vente début décembre le livre électronique “e-2012″, chez Owni Editions, une enquête signée Andréa Fradin et Guillaume Ledit sur la campagne numérique de l’UMP et du PS.

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La résistible ascension des nouveaux barbares http://owni.fr/2011/06/01/la-resistible-ascension-des-nouveaux-barbares/ http://owni.fr/2011/06/01/la-resistible-ascension-des-nouveaux-barbares/#comments Wed, 01 Jun 2011 06:50:00 +0000 Henri Verdier et Christophe Stener http://owni.fr/?p=65491 Ci-joint un petit texte concocté avec mon ami Christophe Stener, portant sur les objectifs et la stratégie des nouveaux barbares, invités d’honneur du e-G8, et sur les réponses possibles pour nos entreprises matures.

Après 800 ans de domination sans partage, les Romains furent emportés par une vague de barbares venus de plus loin et dont ils n’ont pas su dominer les attaques rapides, mobiles, sans respect des règles habituelles du combat lourd que maîtrisaient leurs phalanges…

Les entreprises leaders de l’économie du XXe siècle sont-elles condamnées à subir le même sort ? Les nouveaux entrants, nés dans Internet (“Internet natives”) que sont les Google, Facebook, Apple, Amazon, semblent en effet avoir la même mobilité, la même ambition et le même dédain pour les règles classiques que les anciens barbares.

Prisonniers du “brick and mortar”

Face à ce déferlement, les entreprises matures, leaders mondiaux de leurs secteurs, ont compris et intégré une partie des technologies numériques – en particulier le commerce électronique et le marketing viral. Mais elles restent quand même prisonnières de modèles “brick et mortar”, sans pouvoir ou savoir reconstruire toute leur chaîne de valeur par rapport au e-client. La stratégie multicanal est un bon exemple. Indispensable, elle n’est pourtant qu’un “barrage contre le Pacifique” contre ces “nouveaux barbares” qui pillent les chaînes actuelles des acteurs traditionnels.

Les entreprises les plus directement touchées sont celles qui vendent des biens et services aux particuliers (“Business to Consumers”). Leur capital est composé de leur marque, de leur réseau commercial, de leur savoir-faire métier… mais surtout de leur capacité à capter, à satisfaire et à conserver leurs clients. Le client est le capital le plus précieux mais aussi le plus fragile de l’entreprise. La relation avec le client est de plus en plus nouée et fidélisée par les nouveaux outils numériques : mailings ciblés, liens commerciaux sur les sites de recherche ou communautaires, galeries marchandes sur ordinateur et sur téléphones “intelligents” (smartphones), offres groupées avec d’autres partenaires (bancaires, tourisme, assureurs,…), cartes de fidélisation et de paiement…

Les entreprises “brick et mortar” ont compris qu’Internet était le média majeur au XXIe siècle.
C’est justement sur ce lien entre l’entreprise et le client que les “nouveaux barbares” ont décidé de devenir les points de passage obligés pour vendre leurs propres biens et services concurrents des entreprises “classiques” et/ou faire payer à celles-ci des droits de péage, nouvelle forme de droit d’octroi numérique.

Pour ce faire ils ont deux leviers irrésistibles : une immense base mondiale de clients, fidélisés à travers de véritables rituels quotidiens – 700 millions de comptes Facebook, 200 millions de comptes iTunes, 37 millions de visiteurs Google par mois… – et une accessibilité démultipliée par tous. les terminaux Internet (ordinateurs, smartphones, tablettes, et demain téléviseur connecté…) Exploitant ces deux leviers, ils déploient une stratégie d’encerclement en investissant de nouveaux métiers (banquier, opérateur télécom, régie publicitaire, fournisseurs de contenus notamment) recherchant systématiquement les niches “over the top”, celles au rendement maximal. La martingale est l’intégration complète de la chaine de valeurs sur le modèle Apple (fournisseurs de matériels, de logiciels, de sites marchands et de contenus).

Les barbares ne copient pas, ils créent de nouveaux rites

La puissance de ces nouveaux barbares est immense : ils sont très riches. Apple est en passe de devenir la première capitalisation boursière au monde. Ils développent de nouvelles activités en utilisant la valeur marginale de leurs gigantesques infrastructures Internet et leurs très faibles coûts d’exploitation. Twitter compte un salarié pour 750.000 abonnés, par exemple.

Reprenant les leçons des aînés, tel Microsoft par exemple; ils acquièrent à prix d’or des start-up pour investir de nouveaux territoires en gagnant le temps de la R&D et en construisant des barrières à l’entrée pour leurs concurrents. Apple, Google, Amazon, Facebook investissent massivement aujourd’hui dans le business du loisir en ligne pour prendre des parts de marchés, futures rentes à terme.

Ces nouveaux acteurs ne visent pas à concurrencer les “chaînes de valeur” traditionnelles. Ils “encapsulent” les activités traditionnelles en laissant les activités les moins rentables, celles du monde réel (logistique en particulier) aux acteurs installés. Ils créent de nouvelles expériences utilisateur et, si possible de nouveaux rites, de nouvelles pratiques sociétales. Facebook, Amazon, Google suivant les traces d’Apple, se lancent tous dans la commercialisation d’offres de musique, de cinéma, de livres en streaming, c’est-à-dire en consommation en flux sans stockage local, en s’appuyant sur les architectures de cloud computing envoyant le flux de contenu vers tous types de terminaux Internet.

Apple ne dissimule pas son ambition de devenir opérateur téléphonique pour pouvoir émettre des puces de téléphones virtuelles qui enlèveront aux opérateurs classiques leur principal actif. Les opérateurs téléphoniques seront réduits à un rôle de réseaux de transport passifs. Ne disposant plus de connaissance des clients qui transitent sur leurs fibres, ils ne pourront plus commercialiser les bouquets de services, seul vrai revenu qui permettent aussi d’équilibrer le subventionnement des terminaux. Ce financement systématique, qui fait que 40 % des nouveaux téléphones sont connectés à Internet, est à terme suicidaire car ce sont autant de chevaux de Troie à partir desquels les Apple, les Google, vont lancer leur guerre de conquête des bases clients. L’investissement massif de Google dans Android, qui va être rapidement le système d’exploitation dominant des smartphones, s’inscrit dans une stratégie cohérente à vue longue.

Facebook veut devenir le premier site commercial venant se confronter aux acteurs historiques comme eBay et procède à des acquisitions ciblées pour se doter de capacités de régie commerciale Internet dans un combat frontal avec Amazon et Google. La maîtrise d’un corpus de données sans précédent, et l’investissement dans le traitement des “big data” ne tarderont pas à jeter aux oubliettes les anciennes approches du marketing et de la communication.

Groupon, âgé d’à peine trois ans, a une valorisation estimée à 15 milliards de dollars en proposant au petit commerce de jouer sur les stratégies promotionnelles des grandes enseignes. Foursquare, qui a rassemblé 8 millions d’utilisateurs en trois ans, explore un marché de la donnée personnelle géolocalisée qui, d’après McKinsey, devrait générer 100 milliards de dollars de revenus pour les opérateurs avant 2020.

Quel avenir pour les indigènes du web ?

Face à cette irruption des nouveaux barbares dans leurs métiers, les acteurs de l’ancienne économie, celle du “brick and mortar”, ont deux options.
L’une est la recherche de la moins mauvaise alliance avec l’un de ces barbares : c’est un peu celle de Canossa et les déséquilibres des acteurs rendent un accord d’égal à égal peu probable. La difficulté de négociation par les opérateurs téléphoniques des conditions de commercialisation des iPhones alors qu’Apple lorgne sur l’ARPU même des clients le montre assez.
L’autre est de se transformer en “pervasive company” développant un soft power. Une pervasive company est une entreprise qui est en rapport constant avec ses clients à travers tous les médias numériques (ordinateurs, téléphones, télévision), une expérience utilisateur riche et nouvelle et un soft power qui est l’adhésion du client à la marque. Seules les entreprises capables de remettre en question structurellement leur rapports à leurs clients, de faire du numérique le cœur de leur relation commerciale et d’adopter résolument de nouvelles stratégies de création de valeur pourront avoir l’ambition de choisir cette voie.

Mais il faudra pour cela renoncer à bien des certitudes héritées du XXe siècle. Faute de quoi, tous les G8 du monde ne seront que procrastination…


Article initialement publié sur le blog d’Henri Verdier.

Illustrations CC FlickR: Vimages, Vimages, joe.ross,

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Pas d’Internet “civilisé” pour les Barbares de l’Info! http://owni.fr/2011/05/31/pas-dinternet-civilise-pour-les-barbares-de-linfo/ http://owni.fr/2011/05/31/pas-dinternet-civilise-pour-les-barbares-de-linfo/#comments Tue, 31 May 2011 08:30:47 +0000 JCFeraud http://owni.fr/?p=65328 J’ai écrit ce texte un peu barge, ce pronunciamiento gonzo, à la demande de mon camarade blogueur Chacaille. Ce cher Frater Guillaume d’outre-Léman, qui défend la figure du “Moine reporter bénévole”, lance avec ses amis suisses une fière Trirème baptisée “Ithaque”. Un journal au long cours, non-profit et citoyen, qui entend aller “moins vite plus loin”. Avec de la chair et de l’humanité dedans, du récit, du reportage, des idées et de la BD… Le premier numéro de cet ovni journalistique et littéraire sort des presses. Vous pouvez vous y abonner ici sans peur d’être déçus. C’est beau, c’est gonzo. Je suis fier d’être de l’aventure ! Voici donc en guise de Teaser ce “Manifeste des Barbares de l’Info” qui sera en der du numéro 1 et que je brûlais de publier envers et contre l’Internet “civilisé” (et le journalisme qui va avec). Surtout après la farce grotesque de l’eG8 organisée à Paris par l’Histrion à talonnettes de l’Elysée…

Nous sommes les barbares de l’info

Nous sommes les nouveaux Barbares de l’Info.
Journalistes renégats et mercenaires du clavier, jeunes forçats du Web et vieux déserteurs du papier, blogueurs sans entraves et citoyens libre-penseurs. Jeunes précaires courant de stages en CDD renouvelables, rédacteurs trentenaires prêts à tout donner mais privés de la carrière qui portait leurs aînés, quadra et quinqua déclassés, trop vieux, trop exigeants, pas assez petits chefs pour trouver notre place dans les usines à produire de l’information low-cost que tendent à devenir les journaux.

Nous avons pris le maquis du web et ne croyons plus à la presse telle qu’elle était. C’est décidé: nous ne suivrons plus les règles du jeu des professionnels de la profession…enfin juste ce qu’il faut pour vivre ou survivre de notre métier et fomenter la révolution de l’info ici et maintenant. Sans trop se prendre trop au sérieux évidemment ;). Ceci est un manifeste gonzo-journalistique inutile mais irrépressible, qui n’engage que ceux qui le suivront à leur manière. Quand ils le pourront où ils le pourront. Mais avec la foi communicative des conquérants d’une nouvelle ère informationnelle.

Pour commencer, nous croyons aux Dieux de l’Information et de la technologie au nom du Libre Partage du savoir. Nous pensons toujours que la compréhension de l’actualité et de l’histoire en train de se faire est un facteur indispensable d’éducation, d’élévation et de progrès. Et que la liberté indéfectible de la presse est l’un des premiers fondements de la démocratie.

Nous plaçons la mission d’informer, bien avant le commerce du papier et de la réclame qui dévoient de plus en plus le métier au nom de sa seule survie. Et qu’à ce titre les médias ne sont pas des entreprises comme les autres mais un bien public, qui devrait et pourrait être “non profit” et financé comme tel par l’impôt, le biais de fondations ou la trop vite enterrée “licence globale” (consistant à taxer les opérateurs télécoms faisant juteux commerce des contenus que nous, journalistes et citoyens, produisons).

L’Internet et le journalisme n’ont pas à être “civilisés”

Nous sommes convaincus que la révolution numérique n’est pas une menace pour la presse, mais une chance historique pour elle de renaître en offrant à tous la possibilité de participer au média, en interaction avec des journalistes professionnels.

Nous croyons aussi que l’Internet n’a pas à être “civilisé” comme l’a souhaité un président de la République (qui lui ne l’est pas, civilisé), en ce sens que ceux qui y produisent ou y échangent du savoir n’ont pas la même conception du droit et de la liberté d’informer.

Alors, aujourd’hui, à ce moment clé de l’histoire des technologies et de l’information, nous sortons de l’ombre de l’Undernet. Dans les “grands” journaux qui coulent au son de l’orchestre comme autant de Titanic, chez les “pure player” qui se lancent comme autant de radeaux de l’info, sur les blogs et Twitter, ici et ailleurs…nous occupons le terrain de l’internet laissé vacant par la fin de l’ère Gutenberg.

Spartacus venus des contrées numériques, nous déferlons, toujours plus nombreux et dans une joyeuse anarchie, sur les limes de la vieille Rome médiatique. Entendez-vous cette clameur libre et sauvage ? Nous voulons informer ici et maintenant, partout et nulle part, sans entraves, envers et contre tous les pouvoirs, politiques et économiques, pour le bien commun et la morale publique. L’information est un droit et un devoir essentiel à la démocratie, on l’a dit, et à ce titre nous la considérons comme un service public qui ne doit pas être dévoyé par la logique des “story teller” et des mercanti. Et oui, fous que nous sommes, nous croyons encore en ces notions antiques aujourd’hui oubliées ou dévoyées ! Ici là même, sur ce blog en forme de radeau numérique. Mais, aussi sur le pont de cette Trirème joliment baptisée “Ithaque”. Et bien d’autres esquifs nommés Mediapart ou OWNI… nous souquons ferme, mais à notre rythme, moins vite, pour porter plus loin l’estoc au cœur de l’Empire. Nous sommes journalistes de métier ou non, bretteurs et rhéteurs des mots, amoureux de l’écrit c’est sûr. Nous entendons pratiquer l’”Informatio” au sens où l’entendait les anciens. En vénérant l’héritage narratif de Joseph Kessel et les enquêtes au long cours d’Albert Londres. En faisant nôtres le “nouveau journalisme” littéraire de Tom Wolfe, le gonzo-journalisme foutraque et brillant de Hunter S.Thompson et le journalisme Underworld USA de Bob Woodward qui se rappelle à notre souvenir ces temps-ci. Un journalisme dont on ne trouve plus vraiment trace dans la vieille presse.

Face aux tristes clercs de la pseudo-objectivité journalistique à l’anglo-saxonne, nous brandissons l’étendard de l’honnêteté subjective. Nous aimons décrire le réel par hyperbole, avec mauvais esprit et poésie, sans aller contre la vérité des faits. En allant moins vite plus loin contre l’accélération du monde turbo-numérique, nous voulons ralentir pour vous raconter des histoires hunniques “dont les mots, comme les poings, fracasseraient les mâchoires” comme disait Cioran. En expérimentant tous les styles et en nous servant de toutes les nouvelles technologies.

Nous sommes légions, nous sommes de toutes les générations. Mais nous avons dix ans ou quinze ans à peine. L’âge de la nouvelle Utopie informationnelle de l’Internet qui a mis à bas Gutenberg et Mac Luhan, les Dieux anciens de l’imprimé et de la lucarne hypnotique.

Les graines du chaos re-créatif

Haw Haw ! Une décennie déjà que la nouvelle trinité des trois W a semé les graines du chaos destructeur et ré-créatif au cœur d’un quatrième pouvoir que l’on pensait imprenable.

Emportés par ce nouvel élan digital qui offre à tout à chacun les outils et la parole, ici et maintenant, nous mettons en application ce programme: “Don’t hate the media, become the media” en réponse au “Journalistes partout, Info nulle part”.

Hey Ya Hey nous entarterons les encartés, professionnels de la profession trustant colonnes et micros, projecteurs et caméras ! Tribuns autosatisfaits et éditocrates autoproclamés, vous monopolisiez depuis des générations la parole et l’écrit ? Vous régniez sans partage sur la pseudo-République de l’actualité ? C’est terminé. Il faut maintenant compter avec ce nouveau journalisme bravache et sauvage, littéraire et non standardisé, romantique et nullement pragmatique venu de l’avenir et du passé. Sur le Réseau, nous sommes comme des poissons dans l’eau. Face au bombardement cathodique dominant, nous sommes comme une embuscade dans la jungle médiatique, nous créerons “un, deux, trois Vietnam de l’Info”, comme l’annonçait le programme fondateur de “Libé” en 1973. Vous dictiez au bon peuple ce qu’il fallait penser de l’actualité depuis le confort de vos salons parisiens ? Mécréants que nous sommes, nous raillerons votre évangile en pratiquant le journalisme des faits, par-delà les écrans de nos ordinateurs. Mais en diffusant ce que nous avons appris des événements sur tous les écrans numériques. Et du bon vieux papier aussi. Car nous aimons encore le parfum de l’encre fraichement imprimée. Vous aviez banni de vos rangs les déviants et les affranchis qui prétendaient pratiquer un journalisme du réel…ou de l’irréel ? Ils sont de retour par la magie du Web et ils ont faim de raconter la vie: celle des vrais gens, avec des morceaux d’humain dedans. De plonger au cœur de l’histoire immédiate en train de se faire, au plus près des événements.

Nous mordons avec des mots

Journalistes civilisés, votre idéal patricien c’était foin de panache et d’engagement, point de sens critique ni d’investigation, de la tiédeur et de la crypto-objectivité s’il vous plait ! Surtout ne soulevez pas le tapis de l’actualité, ne cherchez pas à déterrer de vieilles affaires. Rendormez vous, les entreprises sont gentilles, le financement des partis politiques est légal, la guerre est chirurgicale, le business est le business, les saletés doivent rester cachées. Positivez l’info: please du people, des paillettes et du story-telling. N’allez pas voir derrière le miroir, Dieu sait ce qu’un maudit fouineur y aurait trouvé ! Prétoriens de l’ordre informationnel établi vous êtes toujours, comme il se doit, forts avec les faibles et faibles avec les puissants. Bons chiens de garde et gentils toutous courtisans, assurés de ripailler au banquet du pouvoir…Mais nous ne voulons plus de votre “Pax Mediatica”. Maintenant nous mordons avec des mots. Nous ne sommes pas nés pour être domptés. Nous sommes des journalistes sauvages et plébéiens, pas des petits soldats de l’info bêtes et disciplinés.

La voie du Gonzo

Nous voulons suivre la voie de notre bon maître Gonzo, le Doc Thompson, pour qui un bon petit reporter se devait d’avoir “le talent du maître journaliste, l’œil du photographe artiste et les couilles en bronze d’un acteur d’Hollywood”. Nous pensons avec ce cher Hunter citant Faulkner qu’il arrive que “la meilleure fiction soit bien plus vraie que n’importe quel type de journalisme”. Que de plus en plus souvent “les faits sont des mensonges” serinés par des story tellers pour être copiés-collés à l’infini par des scribes robotisés. Et que pour atteindre la vérité, il faut se fier à son instinct sauvage et se laisser porter par la danse chamanique des mots “comme une balle de golf d’un blanc étincelant sur un fairway où le vent ébouriffe les paquerettes” .

Entendez-vous cette rumeur venue des tréfonds de l’internet ? Les temps changent. La roue de l’Histoire informationnelle a tourné. En 2007, lorsqu’une poignée de vétérans du métier a déserté les rangs de la vieille presse sclérosée pour lancer les premiers sites d’info en ligne hors système avec de jeunes recrues venues de barbarie numérique, on se gaussait de ces blogs à peine améliorés rédigés par des gueux et des proscrits qui prétendaient rivaliser avec la grande presse : “Jamais ces Rue89 et autres Mediapart ne tiendront plus d’un an”, entendait-on à Paris dans les allées du pouvoir journalistique. Bien sûr il y eut des morts. Bakchich, le vilain petit Canard numérique. Mais aussi des naissances. Owni et son info digitale venue d’ailleurs… Mais pendant ce temps là, les “grands” journaux, ces Tigres de papier, ont vu leur royaume imprimé s’effriter année après année. Ils ont vu leurs ventes et publicité pourrir et s’effondrer sur pied. A force de sacrifier aux dieux médiocres du marketing éditorial. A force de proposer toujours la même soupe standardisée, de coller au “temps de cerveau disponible”, d’oublier que notre métier est d’abord celui de l’offre. A force aussi d’avoir peur de l’Internet, cette nouvelle démocratie de l’info participative, sociale et citoyenne. A force de mépriser ces OS du Web qui étaient seuls à maîtriser les arcanes de la technologie, la vieille aristocratie décadente du papier est totalement passée à côté de la révolution numérique. Elle est aujourd’hui au bord du précipice et sur le point de tomber dans les poubelles de l’histoire. C’est ainsi.

La fin des anciens

Voilà donc qu’un vent de panique s’est mis à souffler sur la belle ordonnance des phalanges de l’Empire. Ce n’est pas encore la débandade généralisée. Mais les signes de la fin des temps anciens sont là. L’ordre médiatique établi vient de connaître son désastre de Teutoburg: pour la première fois, un messager venu des forêts sombres de l’Undernet, j’ai nommé WikiLeaks, a dicté son agenda aux plus grands journaux de la Planète. On a vu le New York Times, le Guardian, le Spiegel et Le Monde se rendre docilement à l’oracle barbare des 250.000 câbles diplomatiques américaines rendus publics par Assange. Plus rien ne sera comme avant. D’autres “Zones Autonomes d’Information” vont naître ici et là, frapper de leur clavier et disparaître avant d’être écrasées pour renaître ailleurs dans les failles de l’Empire, suivant les préceptes “TAZ” du cyber-prophète libertaire Hakim Bey.

Bientôt d’autres “journalistes et hors la loi”se lèveront et rivaliseront de diatribes magiques et hallucinées dans la lignée du grand Chaman des mots, ce cher Hunter. Et les jeunes forçats du Web briseront leurs chaînes sur l’air du “qu’est ce qu’on attend pour mettre le feu à l’Info !”. Les lecteurs suivront ou non. Qui nous aime nous suive ! Ils suivront. Ils ont déjà déserté en masse le papier et la télé pour le Web, l’info-burger pour la bio-diversité des sites indé, des réseaux sociaux et des blogs. Bientôt l’on entendra ce qu’il restera des Césars médiatiques d’autrefois, lancer le cri d’Auguste: “Varus qu’as tu fais de mes légions ?”. Rome ne brûlera pas mais l’Empire s’effondrera de lui-même face à la nouvelle République des médias par tous et pour tous. C’est écrit.

Maître Gonzo ;)


Article initialement publié sur le blog Sur mon Écran Radar, sous le titre “Pas d’Internet “civilisé” pour les Barbares de l’Info !”

Illustrations CC FlickR: PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales par Dunechaser, Paternité par Abode of Chaos

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Yochai Benkler: “La guerre d’usure entre les vieilles industries et Internet” http://owni.fr/2011/05/27/yochai-benkler-nous-assistons-a-une-guerre-dusure-entre-les-vieilles-industries-et-internet/ http://owni.fr/2011/05/27/yochai-benkler-nous-assistons-a-une-guerre-dusure-entre-les-vieilles-industries-et-internet/#comments Fri, 27 May 2011 12:19:53 +0000 Eric Scherer http://owni.fr/?p=64835 Yochai Benkler, professeur de droit à Harvard est l’un des plus grands théoriciens de l’Internet. Dans cette interview animée par Eric Scherer, directeur de la prospective de France Télévisions, lors du Forum de l’eG8, le co-directeur du Berkman Center for Internet and Society et auteur de La Richesse des Réseaux dresse l’état des lieux de l’Internet, montre d’où l’on vient, les obstacles et les pistes qui s’ouvrent devant nous. Le tout en une vidéo de 9 minutes, traduite et retranscrite par Thierry Lhôte.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Eric Scherer : Pouvez-vous nous expliquer les bases de ce qui se passe dans ce nouveau monde ?

Yochai Benkler : Tout d’abord, c’est merveilleux d’être à Paris pendant ce superbe mois de mai, il n’y a pas de meilleur endroit possible pour ce moment de l’année.

Le changement essentiel que l’Internet a apporté est la décentralisation radicale des moyens élémentaires de production de l’information, du savoir et de la culture (traitement, stockage, communication, localisation et détection – téléphones mobiles) qui sont distribués dans l’ensemble de la population. Donc, pour la première fois depuis le début de la révolution industrielle, les moyens élémentaires de production, et les apports fondamentaux (sens de l’humain, sociabilité, créativité) ainsi que les moyens matériels sont entre les mains de la majorité de la population.

Ce que cela signifie, c’est que pour la première fois, ce qui était considéré comme social : l’amitié, la conversation, chanter une chanson… – mais était en périphérie de l’économie – devient à présent au centre de l’économie.

Il y a douze ans, deux des plus grands économistes mondiaux se sont interrogés sur le cas de l’Encyclopédie Britannica, et ils dirent que le défi le plus grand pour cette encyclopédie, ce qui capture l’essence du défi numérique pour elle, était l’encyclopédie Encarta de Microsoft : «C’est sous forme numérique, cela évolue en permanence, c’est coloré, c’est inséré dans un programme…» Ils ne pouvaient pas imaginer Wikipedia.

Mais le véritable cœur [de ce changement] c’est Wikipédia : le véritable cœur ce sont des gens qui se réunissent, s’expriment, apprennent, se gouvernent eux-mêmes, et qui créent l’un des plus importants outils d’information pour notre vie commune.

Cela capture l’essence [de ce changement] : nous avons une décentralisation de l’innovation (vous n’avez plus besoin d’appartenir à une grande entreprise pour innover) ; une décentralisation de la créativité (vous n’avez plus besoin d’être attaché à un label pour gagner votre vie d’artiste) ; et enfin, plus important encore, il y a une radicale décentralisation de la participation démocratique : vous n’avez plus besoin de posséder un journal, une radio ou d’appartenir à un parti pour agir politiquement.

Nous assistons donc à une démocratisation de la Démocratie, mais aussi à une démocratisation de l’innovation, de la culture et de la création. Ceci est la transformation fondamentale que nous sommes en train de vivre, et nous n’avons rien vu de tel depuis le début de la révolution industrielle.

Cela explique-t-il les deux camps que nous voyons ici à Paris au forum e-G8 ? Pourquoi cette bataille à ce moment et ici ?

Je pense que c’est l’élément central de cette séparation. Et ce n’est pas nouveau : c’est une séparation que nous avons observée dans le monde au moins depuis le début des années 90.

D’un côté, il y a des entreprises dont le business model a été construit depuis un siècle autour du fait de pouvoir acquérir une grande presse mécanique qui, associée à un réseau de distribution, permet de délivrer un quotidien, une grande radio, une grande chaîne de télévision, un grand satellite… quelque chose qui est très concentré, et alors vous contrôlez les copies issues de ces systèmes et vous vendez de l’accès. C’est le vieux modèle, le modèle du XXème siècle. Nous appelons cela de l’information mais en réalité c’est un modèle industriel.

De l’autre côté, nous avons le modèle de l’âge de l’information. Et c’est un modèle à la fois pour les acteurs des marchés et pour la société civile : il ne s’agit pas des marchés contre la société civile. Il ne s’agit pas de l’efficacité et de la compétition contre la Démocratie ou la Justice ; il s’agit d’une lutte entre ce qui est nouveau, l’avenir, la décentralisation, et ce qui est vieux et qui essaye de garder le contrôle.

La manière la plus facile de comprendre ce qui se passe, est d’observer l’industrie musicale. L’usage voulait que lorsque vous souhaitiez publier votre chanson, le seul moyen était d’être sous contrat avec un label, car les chansons devaient être inscrites sur des objets physiques. Le business model dans son entier est construit autour de la prise de contrôle.

Ce que vous n’avez plus besoin de faire à présent. Un auteur peut avoir son propre site Web, par l’utilisation d’un programme créer une belle chanson, la donner à ses utilisateurs, qui peuvent à leur tour l’intégrer dans des mash-ups [...], et ils sont prêts payer pour ce service.

Que reste-t-il alors aux vieilles entreprises ? Ces vieilles entreprises essayent de ralentir ce mouvement, elles essayent de réguler les outils informatiques de composition et l’encodage, elles essayent de réguler les fournisseurs de service. Au moment d’Hadopi on a beaucoup parlé du système des trois alertes et de la punition qui suivait, mais l’une des caractéristiques principales d’Hadopi était l’obligation faites à chaque fournisseur de services de piloter leurs utilisateurs. Au fond, vous êtes en train de mobiliser et recruter les fournisseurs de services pour qu’ils jouent le rôle de la police. Et donc vous intervenez dans cette architecture de base du réseau pour qu’elle soit plus contrôlée, pour que les modèles d’entreprises du XXème siècle s’y sentent plus à l’abri.

D’un autre côté, nous voyons de petites entreprises qui ont d’excellentes idées, qui n’ont pas besoin de beaucoup de capital pour écrire un programme informatique, parce qu’ils savent connecter les gens entre eux, ce n’est pas si coûteux. Tant qu’elles opèrent sur un réseau ouvert, elles ont déjà les ordinateurs, le logiciel qui n’est pas cher à produire, elles peuvent donc commencer à exister et innover. Elles ne sont pas obligées de demander la permission aux opérateurs télécoms ou à d’autres pour pouvoir intervenir. Elles ont la liberté d’innover.

D’accord, mais il y a aussi les gouvernements et les parlementaires. Comment éduquer ces acteurs ? Parce que ces gens aujourd’hui, comme vous le savez, sont assez illettrés dans le domaine de l’Internet, ils ont besoin d’être éduqués. Si vous coupez le lien entre l’Internet et ces gens, que va-t-il arriver ?

Je pense que ce serait une bêtise de couper ce lien et croire de quelque façon que l’Internet est un lieu d’anarchie qui n’aurait pas de rapport avec les États. Nous sommes tous des êtres humains, nous vivons au sein de nos États. Nos États remplissent des rôles très importants en matière de bien public, de la défense nationale jusqu’à la redistribution sociale : fournir une sécurité sociale, des filets de sécurité, supporter la recherche et le développement… des biens publics cruciaux.

Nous sommes dans l’obligation d’avoir un dialogue continu, l’idée que l’Internet peut exister en dehors des États est simplement fausse en tant que description.

Nous devons éduquer le législateur, mais je ne crois pas que le problème principal soit leur éducation, particulièrement aux États-Unis sur le manque de compréhension (pour certains c’est un manque de compréhension et nous devons continuer de faire passer le message) ; le problème est en fait la sensibilité à l’argent, ce que nous voyons est une culture globale croissante des grandes entreprises qui deviennent de plus en plus sophistiquées (cela a commencé de manière puissante avec les compagnies américaines, puis le modèle s’est exporté, et ce n’est pas ce que l’Amérique exporte de meilleur).

C’est que vous pouvez commencer à utiliser l’argent pour l’accès et la persuasion.

Donc, par exemple l’administration Obama est saturée de personnes qui sont de loin les plus au courant des problématiques de l’Internet à un niveau gouvernemental. Et cependant celle-ci est enfermée et limitée dans son action, non par des législateurs ignorants, mais par des législateurs qui consacrent leur temps et leur attention à des lobbyistes qui leur disent en permanence : «Voici nos besoins, si vous faites cela nous allons perdre des emplois…». C’est le principal défi de cette administration.

Quelle est alors la prochaine étape ? Y a-t-il une réconciliation possible de ces deux mondes ? Qu’arrivera-t-il ?

Je pense que nous verrons une guerre d’usure au fil du temps, comme depuis 15 ans, en fait. Parfois, les vieilles industries feront un pas en avant, à d’autres moment ce seront les nouvelles qui progresseront. La question cruciale dans un certain sens, c’est que se passera-t-il avec l’Internet mobile ?

L’Internet mobile vient d’une tradition des téléphones portables qui fonctionnent sur des réseaux contrôlés appartenant à des compagnies et des outils, des objets contrôlés et propriétaires. Si l’Internet mobile l’emporte sur le monde du PC et de l’Internet associé, alors l’âge de l’information par lequel nous avons commencé à embrasser la démocratisation va perdre.

D’un autre côté, si nous pouvons nous appuyer sur une combinaison des réseaux à très haut débit et du Wifi avec les services de l’Internet, pour aller loin dans la direction d’un réseau ouvert et ubiquitaire, et si nous pouvons obtenir des exigences d’un réseau ouvert neutre, sur le réseau des objets mobiles, nous serons alors de l’autre côté.

C’est encore trop tôt pour savoir dans quel scénario nous allons aboutir, c’est le cœur du débat pour les cinq années à venir.


Interview réalisée par Eric Scherer, retranscrite et traduite par Thierry Lhôte

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Manifeste pour le cyberespace http://owni.fr/2011/05/25/cyberespace-eg8-internet-libertes-numeriques/ http://owni.fr/2011/05/25/cyberespace-eg8-internet-libertes-numeriques/#comments Wed, 25 May 2011 21:07:42 +0000 Yann Leroux http://owni.fr/?p=64611

Nous, digiborigènes, constatons un état d’hostilité envers le cyberespace qui culmine avec le eG8. La neutralité sur laquelle repose nos échanges est fortement mis en cause sous des prétextes fallacieux. Nous en sommes arrivés au point ou l’Internet doit être protégé des gouvernements.

Nous avons transformé une province éloignée de la culture en une cité cosmopolite et vibrante, dont la richesse profite à tous. Nous avons construit le cyberespace. Nous l’avons construit bit après bit, manifeste après manifeste, lolcat après lolcat. Nous y avons nos cathédrales et nos bazars. Nous y avons inventé des mondes, des modes de relation et des intelligences à nulle autre pareille.

Le cyberespace n’est pas un nouvel espace à conquérir. Il n’est pas à coloniser. Il n’est pas à civiliser.

Le cyberespace est un espace de civilisation. Il l’est depuis sa fondation. Il l’est nécessairement parce qu’il est construit et habité par des hommes et des femmes.

L’internet porte un regard égal à Kevin ou à Mark. Il n’est pas un espace égalitaire. Il traversé par des barrières, mais ces barrières sont des constructions sociales. Elles ne sont pas dans architecture du réseau.

Nous refusons le cyberespace soit transformé en un espace de surveillance.

Nous refusons que les États abandonnent les protections qu’ils doivent au citoyen.

Nous refusons que les États violent le droit à la vie privée dans le cyberespace.

Nous refusons que l’architecture du cyberespace soit modifiée.

Nous refusons que l’ancien droit d’auteur serve de modèle à tous les échanges.

À l’heure où la fin de l’humanité devient une hypothèse tangible, nous avons plus que jamais besoin d’un espace commun où nous pouvons nous retrouver ensemble et régler les questions qui nous occupent. Le cyberespace rend possible des Place Tahir et des Puerta del Sol.

Nous ne pouvons nous permettre de perdre ces futurs.

Défendons les.


Crédits illustration FlickR by-nc-sa verbeeldingskr8

Retrouvez notre app Quand l’Internet se manifeste

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E-direct de l’e-G8 http://owni.fr/2011/05/24/direct-eg8-sarkozy-internet/ http://owni.fr/2011/05/24/direct-eg8-sarkozy-internet/#comments Tue, 24 May 2011 15:54:27 +0000 Andréa Fradin, Ophélia Noor, Guillaume Ledit et Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=64309 Cet article sera mis à jour tout au long de cet e-G8, par notre e-OWNIteam \o/

Retrouvez les points les plus importants:

- Notre grille de Bullshit Bingo

- “Ne faites pas de mal à Internet”

Tuyaux, propriété intellectuelle, et le ton monte

- La société civile organise sa propre session

- Un déjeuner à l’É-lysée

- Et maintenant?


Un immense chapiteau en forme d’Algeco géant, des centaines d’invités, des petits fours Lenôtre, quelques gros bonnets descendus de leur tour d’ivoire (Didier Lombard traversant le buffet), le décor de l’e-G8 est solidement planté. Tout a commencé par une allocution attendue de Nicolas Sarkozy, chaudement accueilli par Maurice Lévy, le P-DG de Publicis et président de l’événement. “Ce forum est historique”, s’est emballé le publicitaire, visiblement ravi de jouer les maîtres de cérémonie. “Internet doit être libre des contraintes et responsable”, a-t-il ajouté, pour mieux introduire le président de la République.

Premier enseignement du Sarkozy 2.0: s’il a abandonné le concept impopulaire d’“Internet civilisé”, c’est pour mieux lui préférer la notion d’“Internet responsable”, une subtilité rhétorique qui a traversé l’ensemble de son allocution. Après avoir remis en question l’Hadopi lors de l’installation du Conseil national du numérique le 27 avril dernier, le chef de l’État a de nouveau durci le ton, érigeant le droit d’auteur, la propriété intellectuelle et la lutte contre les monopoles au rang de priorités. Dans l’entourage du président, on refuse de livrer le nom de la plume qui a couché ces bons mots (pas plus qu’on ne veut donner les noms des quelques chefs d’entreprise privilégiés qui ont déjeuné à l’Élysée ce midi) . Entre autres morceaux choisis, on peut isoler ceux-ci:

Vous avez besoin d’entendre nos lignes rouges au nom de l’intérêt général de nos sociétés.

Personne ne doit pouvoir être exproprié [...] de sa propriété intellectuelle.

Vous (les acteurs d’Internet, ndlr) ne pouvez pas vous exonérer de valeurs, de règles minimum.

Afin de tenir une comptabilité précise, nous avons imaginé une petite . Libre à vous de l’imprimer et de remplir le tableau de marque.

Après avoir loué les soulèvements arabes qu’il aurait pourtant évacué d’un revers de main il y a quelques semaines (“Internet est devenu l’échelle de crédibilité d’une démocratie, ou l’échelle de honte d’une dictature”), Nicolas Sarkozy a été apostrophé par le journaliste américain Jeff Jarvis. Il lui a demandé de prêter serment:

Do not harm the Internet / Ne faites pas de mal à Internet

Interrogé par OWNI, Jarvis regrette que le président ne l’ait pas pris au sérieux. En sus, il estime que “les gens de l’Internet auraient du organiser leur propre sommet”, en regrettant l’omniprésence de la sphère industrielle.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Dans le même temps, quelques autres voix dissonantes se faisaient entendre, comme celle de Yochai Benkler, éminent professeur de droit à Harvard, qui a fustigé l’“absurdité de la loi Hadopi”. Même Eric Schmidt, le directeur exécutif de Google, y est allé de son refrain contestataire, en exhortant les Etats à ne pas légiférer trop tôt, parce que “la technologie avance plus vite que les gouvernements”. Ces belles intentions n’ont pourtant pas permis de redresser le niveau d’une séance “Internet et société” dans laquelle Jimmy Wales, le fondateur de Wikipedia, a du ferrailler avec Facebook ou Groupon. Tenant d’un réseau ouvert, Tristan Nitot, M. Mozilla en Europe, nous a fait part de sa satisfaction d’être invité, tout en s’agaçant de la composition des panels et “qu’on passe sous silence ce qui n’a pas de valeur financière”.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Au vu du débat, difficile de lui donner tort. Stéphane Richard, patron d’Orange (qui est l’un des deux plus gros sponsors de l’e-G8), a profité de sa présence dans cette plénière sur les implications sociétales du Net pour imposer un thème qui lui est cher: la contribution des fournisseurs de service dans le financement des infrastructures, sur un argument simple, en forme de double lame:

Sans les réseaux Internet n’est rien [...] Internet n’est pas qu’une question de libertés, c’est une question d’argent.

Après cette incursion dans l’épineuse question de la netneutralité et des tuyaux (pendant laquelle Google et Apple en ont pris pour leur grade), on a pu assister à l’apothéose de cette première journée: la discussion sur “la propriété intellectuelle et l’économie de la culture à l’heure du digital”. Dans le coin droit, Antoine Gallimard, Pascal Nègre (président d’Universal), le patron de la Twentieth Century Fox, celui de Bertelsmann et Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture. Dans le coin gauche, un invité surprise, John Perry Barlow, cofondateur de l’Electronic Frontier Foundation, une association américaine qui défend les libertés numériques.

Sans surprise, le débat “apaisé” a vite tourné à la foire d’empoigne. Tandis que Pascal Nègre défendait son fonds de commerce en affirmant que le Net “crée des déserts culturels”, Barlow répondait par un soupir:

Mon Dieu, je ne vis pas sur la même planète.

John Perry Barlow, seul contre tous?

Pendant que la salle, coupée en deux, applaudissait tour à tour chaque camp, et que dans la salle, Andrew Keen (l’auteur du Culte de l’amateur) jouait avec jubilation sa partition de troll, Jérémie Zimmermann, le porte-parole de la Quadrature du Net, apostrophait vigoureusement un panel décidément attaché à ses bas de laine.

L’orage passé, John Perry Barlow nous confie qu’il a été invité à participer à cette plénière à la dernière minute: Lawrence Lessig, pape des Creative Commons et professeur de droit à Stanford, devait tenir la place du gardien du temple, mais Frédéric Mitterrand aurait fait barrage à sa présence. A l’e-G8, tout le monde a droit à la parole, mais pas de la même façon.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Mercredi, sur le coup de 11h, quelques représentants des internautes ont décidé de tenir une conférence de presse sauvage en marge des débats. Face à un parterre d’une quarantaine de personnes, six intervenants ont pris la parole pour défendre “un Internet ouvert et libre”:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

“Je suis surpris qu’un événement français soit aussi américain”, a ironisé Lessig, avant de s’en prendre à l’ “audace de Nicolas Sarkozy, qui consiste à demander à de gros industriels quel doit être le futur d’Internet”. De son côté, Yochai Benkler a évoqué l’opposition de deux camps, qui s’affrontent “depuis quinze ans”:

Il y a d’un côté un camp ancré dans le XXe siècle qui a peur du changement, de l’innovation. Ces grandes compagnies veulent que le camp adverse, celui d’un réseau décentralisé, distribué, se plie à leurs exigences.

Sur une tonalité alarmiste, Jeff Jarvis s’est dit “effrayé par ces deux jours”. Pour lui, “Internet n’est pas l’affaire des gouvernements”. Tandis que Lessig soutenait que le Net “a très bien réussi à s’auto-éduquer”, Jérémie Zimmerman s’en est pris aux sponsors de l’e-G8, et Susan Crawford a souligné “l’absence de consensus sur le contrôle d’Internet”.

En aparté, Lawrence Lessig a explicité plus précisément son point de vue sur le barnum parisien, en expliquant notamment les déboires de Google aux États-Unis:

Quand vous voyez le mode d’organisation de cet événement, on peut parler de ploutocratie. Bien sûr, il faut écouter les grosses compagnies, mais elles ne jouent que la carte du profit. La question est la suivante: comment transformez-vous radicalement la façon dont les gouvernements fonctionnent? La réponse des États-Unis est très étroite d’esprit, et Google s’y heurte sur de nombreux sujets. Mais je ne leur fais pas confiance pour autant. Ce qui est inscrit dans leur patrimoine génétique, c’est le profit maximal.

Hier, la rumeur bruissait dans les allées de l’e-G8: Nicolas Sarkozy s’était entouré d’une vingtaine d’entrepreneurs pour partager son déjeuner élyséen. Une photo, publiée sur le site de l’Elysée, permet d’identifier ces joyeux convives.


La légende n’étant pas complète sur le site du Palais, nous avons identifié les individus présents sur la photo. Il nous en manque encore deux (les points d’interrogation dans la liste ci-dessous), aidez-nous à les retrouver!

De gauche à droite, premier rang:

Craig Mundie (Microsoft), Maurice Lévy (Publicis, Sharon Sandberg (Facebook), Nicolas Sarkozy, ?, Sunil Bharti Mittal, Sun Yafang (Huawei)

De gauche à droite, deuxième rang:

Joe Schoendorf (Accel Partners), Thomas H. Glocer (Thomson Reuters), Klaus Schwab (World Economic Forum), Eric Schmidt (Google), Ben Verwaayen (Alcatel-Lucent), Jimmy Wales (Wikipedia), Arthur Sulzberger (New York Times), ?, Rupert Murdoch (NewsCorp)

De gauche à droite, troisième rang:

Michel de Rosen (Eutelsat), ?, Xavier Niel (Iliad/Free), Stéphane Richard (Orange), Paul Hermelin (Capgemini), John Donahoe (eBay), Yves de Talhouët (Hewlett-Packard)

Après Tristan Nitot, le représentant européen de la fondation Mozilla, Mitchell Baker, sa présidente au niveau mondial, a accepté de répondre à nos questions. Elle estime que l’e-G8 pose la question de la relation entre les gouvernements, les internautes et les citoyens, et s’interroge notamment sur les moyens de représenter “les deux milliards d’individus qui ne participent pas encore à Internet”.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

A quelques heures des recommandations finales, Bertrand de La Chapelle, membre du board of directors de l’ICANN (l’organisation chargée d’attribuer les adresses IP à travers le monde), nous a livré son impression sur ce mini-sommet d’Internet. Spécialiste des modes de dialogue entre les différents acteurs du secteur, il livre une analyse plutôt optimiste:

D’ordinaire, le G8 ne compte aucun acteur civil. Quelque part, cela rappelle l’initiative de 2000, quand le rassemblement des chefs d’Etat avait convié une “DOT Force” (Pour Digital Opportunity Task Force), composée d’un représentant de la société civile et d’un autre des entreprises, et ce pour chacun des huit participants. Il faut donc se poser la question en ces termes: quelles sont les enceintes pour parler d’Internet au niveau mondial, sur des sujets transfrontières, complexes et non-linéaires ? Avec cet événement, un espace de débat vient de se coller au G8, un laboratoire dans la lignée du Forum sur la gouvernance d’Internet. Les tensions sont normales, mais les gouvernements ont besoin d’inputs, de retours et de compétence technique.

Bertrand de La Chapelle tient par ailleurs à insister sur un point, la nécessité d’un dialogue “entre trois catégories d’acteurs, les gouvernements, les entreprises, et la société civile”. Une interpénétration qui échappera un peu à la “conversation” entre Maurice Lévy et Mark Zuckerberg, le créateur de Facebook, arrivé directement de l’Elysée, où Nicolas Sarkozy le recevait à l’heure du déjeuner.

Pendant 45 minutes, on a assisté à une confrontation assez molle, “un publicitaire interviewant un des plus gros supports publicitaires”, comme le dira non sans une pointe d’ironie un fin connaisseur du numérique français. Devant une audience assez largement fascinée par la réussite du petit génie d’Harvard, le tycoon même pas trentenaire a défendu son entreprise dans ce qu’on appellera une keynote gentiment interactive. Telle une rockstar en roue libre, le jeune milliardaire (27 ans) a délivré un discours bien rôdé sur les vertus du partage, sirotant son Gatorade entre deux questions du public qu’il ne comprenait pas toujours. T-shirt gris, jean, baskets, le cador de la Silicon Valley cultive son image, à l’image d’un Steve Jobs, qui ne sort jamais publiquement sans son pull à col roulé et ses New Balance. Mais au moment d’évoquer la régulation, Zuckerberg préfère botter en touche.

En guise de dessert, tous les sponsors – dont une partie ira jouer les messagers à Deauville – se sont retrouvés sur l’estrade, pour exposer leurs conclusions. Maurice Lévy a déploré le bilan de certaines discussions (“Je ne comprends pas vraiment cette phrase”), les opérateurs ont prêché pour leur paroisse (rarement en faveur de la neutralité), et Ben Verwaayen, le directeur général d’Alcatel-Lucent, a eu ce dernier éclair de lucidité :

Ici, nous nous sommes encore parlés à nous-mêmes.


:

- Andréa Fradin: @fradifrad
- Ophélia Noor: @noorchandler
- Olivier Tesquet: @oliviertesquet
- Guillaume Ledit: @leguillaume

Crédits photo: CC Ophélia Noor pour OWNI, illustration de Une et Bullshit Bingo CC Elsa Secco pour OWNI

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http://owni.fr/2011/05/24/direct-eg8-sarkozy-internet/feed/ 28
L’Internet civilisé selon Sarkozy http://owni.fr/2011/05/23/de-l%e2%80%99internet-des-%e2%80%9cpedo-nazis%e2%80%9d-a-l%e2%80%99%e2%80%9dinternet-civilise%e2%80%9d/ http://owni.fr/2011/05/23/de-l%e2%80%99internet-des-%e2%80%9cpedo-nazis%e2%80%9d-a-l%e2%80%99%e2%80%9dinternet-civilise%e2%80%9d/#comments Mon, 23 May 2011 18:00:49 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=64092

Internet s’est développé de façon tellement forte qu’on ne peut plus l’arrêter; et on peut considérer que toute population qui est soumise à la connaissance va plutôt aller vers la démocratie que vers le totalitarisme.
Daniel Ichbiah, dans l’un des tous premiers reportages TV consacré à l’Internet, en 1995.

Le colonisateur est venu, il a pris, il s’est servi, il a exploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas. Il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail.
Ils ont cru qu’ils étaient supérieurs, qu’ils étaient plus avancés, qu’ils étaient le progrès, qu’ils étaient la civilisation.
Ils ont eu tort.
Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur sa conception de l’Afrique et de son développement, à Dakar le 26 juillet 2007.

La révélation, par Frédéric Martel sur Marianne2.fr, que Nicolas Sarkozy avait empêché Bernard Kouchner d’organiser une conférence internationale sur la liberté d’expression sur Internet, montre bien à quel point le président de la République cherche moins à “civiliser” l’Internet qu’à le “coloniser“, avec tout ce que cela peut signifier en terme d’atteintes aux libertés, de discriminations, et de violences institutionnelles :

Alors que Kouchner évoquait les « cyberdissidents », Nicolas Sarkozy répond en termes de « cybercriminalité ». Kouchner met en avant la « liberté de la presse », le président craint, lui, les « zones de non-droit », propose de « bâtir un Internet civilisé, respectueux des droits de tous ». Le ministre militait pour défendre les « droits de l’homme » et un Internet « ouvert », Sarkozy lui répond que cette conférence doit être « l’occasion de promouvoir les initiatives de régulation, en particulier la loi Hadopi ». Sarkozy choisit un Internet fermé !

De fait, “l’Elysée ne veut pas entendre parler de cyberdissidence, ni de liberté d’expression, il veut du « contrôle »“, ce pour quoi “les cyberdissidents deviennent définitivement persona non grata au e-G8“.

Cette décision, émanant du président de la “patrie des droits de l’homme“, est politiquement scandaleuse. D’un point de vue diplomatique, elle révèle le décalage total qui sépare l’Elysée de ce qui se passe sur l’Internet : non content de mettre son véto au projet de Bernard Kouchner, Nicolas Sarkozy l’a remplacé par Michèle Alliot-Marie, qui, plutôt que d’aider les cyberdissidents de Tunisie, s’est empressée de proposer d’aider les policiers de Ben Ali… En terme de politique étrangère, un véritable fiasco.

e-G8 : tu la sens, ma civilisation ?

De fait, le mot d’accueil de Nicolas Sarkozy, qui vient d’être mis en ligne à la veille de l’ouverture de l’e-G8, et donc trois jours après les révélations de Marianne2.fr, opère un revirement à 180° :

En quelques années, Internet a permis de réaliser l’ambition des philosophes des Lumières en rendant le savoir disponible accessible au plus grand nombre. Internet a aussi renforcé la démocratie et les droits de l’Homme en amenant les États à être plus transparents sur leur fonctionnement voire, dans certains pays, en permettant aux peuples opprimés de faire entendre leur voix et d’agir collectivement au nom de la liberté.

Il suffit pourtant de relire l’anthologie, compilée par Marc Rees de PCInpact, des propos tenus depuis 2007 par Nicolas Sarkozy et ses petits soldats de l’”internet civilisé” (Christine Albanel, Frédéric Mitterrand, la présidente de l’HADOPI Marie François Marais, Muriel Marland-Militello et Franck Riester) pour s’apercevoir que ce revirement doit probablement bien plus aux révélations de Martel qu’à une véritable prise de conscience (placez votre souris sur les images afin d’afficher les propos associés pour mieux profiter de la visualisation qu’OWNI avait réalisé de cette anthologie) :

Il suffit également de regarder la carte des Internets européens qu’OWNI publiera à l’occasion de l’e-G8 pour mesurer à quel point la France a bien mérité d’être placée, cette année, “sous surveillance” dans le listing des “ennemis de l’Internet” établi par Reporters sans frontières (RSF).

Un “Internet civilisé” inspiré par la censure chinoise

Non content d’abandonner les cyberdissidents aux bons soins de leurs dictateurs, et de placer la France en tête des pays qui restreignent les libertés sur l’Internet, Nicolas Sarkozy a donc repris à son compte la notion d’”internet civilisé” introduite par la République populaire de Chine en 2006 afin de justifier sa Grande e-muraille de Chine, créée pour surveiller, filtrer et censurer l’Internet chinois.

La campagne “Que soufflent les vents de l’Internet civilisé” (“Let the Winds of a Civilized Internet Blow“) avait alors été lancée, raconte le New York Times, dans le cadre d’une campagne plus vaste de “moralisation socialiste” afin de renforcer le contrôle politique et social de la Toile, et d’obliger les fournisseurs de services et contenus à nettoyer leurs serveurs des contenus “offensants“, allant de la pornographie aux critiques politiques ou propos dissidents.

Au-delà de ce rapprochement, pour le moins curieux, entre les intérêts “moraux” du parti communiste chinois et ceux défendus par Nicolas Sarkozy, l’utilisation même de l’expression “Internet civilisé” souligne bien à quel point, pour ceux qui l’exploitent, le Net tel qu’il existe depuis au moins 15 ans maintenant, relèverait, sinon de la barbarie, tout du moins d’un espace qu’il conviendrait de “coloniser“.

Cette vision anxiogène avait opportunément été pointée du doigt, en 2009, par Nathalie Kosciusko-Morizet, qui avait déclaré :

C’est bizarre : à en croire certains médias, sur Twitter & Facebook, il y a plein de résistants en Iran, mais que des pédophiles et des nazis par ici.

Une approche qui ne date pas d’hier, comme en témoigne cette compilation de reportages diffusés à la fin des années 90 par la télévision française et selon lesquels le Net serait un repère truffé de pédophiles, de nazis, de pirates, de terroristes aussi :

La boucle est bouclée : de même qu’il fallait “coloniser” “civiliser” les barbares indigènes afin de leur imposer la religion chrétienne, et de s’accaparer leurs richesses économiques, tout en leur conférant un statut de sous-citoyens dotés de moins de droits que ceux accordés aux colonisateurs, il conviendrait aujourd’hui de “coloniser” “civiliser” les internautes, au prétexte qu’ils ne respecteraient pas le droit d’auteur, et que leurs libertés feraient la part belle aux représentants de la lie de l’humanité…

70 CEO vs 10 ONG

Dans son mot d’accueil, Nicolas Sarkozy vante également la “dynamique multipartite et le rôle moteur joué par le secteur privé et la société civile” sur l’Internet, ce qui l’a “convaincu de convier à Paris les principales parties prenantes de l’écosystème“. La consultation de la liste des intervenants donne la mesure de cette “concertation nouvelle qui reconnaisse la légitimité et la responsabilité des acteurs concernés“. On y dénombre en effet :

  • plus de 70 “CEO” et autres représentants des acteurs industriels et économiques (dont Mark Zuckerberg, Eric Schmidt, Alain Minc, Xavier Niel (actionnaire de 22Mars, éditeur d’OWNI, NDLR), Pascal Nègre ou encore le magnat de la presse Rupert Murdoch, qui viendra parler de… “la prochaine frontière numérique : l’éducation“),
  • une dizaine de journalistes (souvent présents en tant que modérateurs),
  • une petite dizaine d’universitaires ou représentants d’ONG (dont Jimmy Wales, le fondateur de Wikipedia, le professeur de droit Lawrence Lessig -auteur des Creative Commons-, John Perry Barlow, co-fondateur de l’Electronic Frontier Foundation, et auteur de la déclaration d’indépendance du cyberespace, Jean-François Julliard de RSF ou encore Mitchell Baker, présidente de la Mozilla Foundation),
  • et 8 représentants de gouvernements (dont Eric Besson, Frédéric Mitterrand et Neelie Kroes, en charge du numérique à la Commission européenne).

Plusieurs campagnes et pétitions ont ainsi été lancées, ces dernières semaines, pour déplorer cette conception toute particulière de l’”écosystème” du numérique, le peu de cas fait de la société civile (70 entreprises privées d’un coté, 10 ONG de l’autre).

La Coalition pour la Gouvernance d’Internet, qui réunit de nombreux pionniers de la gouvernance de l’internet, a ainsi publié une lettre ouverte (en français) où elle se dit “très inquiète de la façon dont le e-G8 Forum est organisé car il ne tient pas compte des bonnes pratiques actuelles en matière de politique publique (et) jette aussi par-dessus bord le principe de participation multipartite qui s’est développé à l’échelle mondiale, particulièrement dans le secteur de la gouvernance d’Internet” :

Les grandes entreprises exercent déjà une influence disproportionnée sur les processus de politique publique. Que des gouvernements valident une conférence spécifique avec des leaders et des fonctionnaires de haut niveau pour planifier l’ordre du jour mondial concernant les politiques relatives à l’Internet est inapproprié.

De son côté, Access, une ONG internationale de défense des libertés sur le Net, vient de lancer une pétition pour appeler le G8 à protéger le Net :

Nous vous exhortons à vous engager publiquement à mener des politiques axées sur les citoyens et visant par exemple à élargir l’accès internet pour tous, à combattre la censure et la surveillance numériques, à limiter la responsabilité des intermédiaires techniques, et à respecter les principes de la neutralité du Net.

Enfin, la Quadrature du Net a, avec d’autres ONG de défense des libertés, lancé g8internet.com afin d’y lancer un “Appel à la résistance créative” :

Internet est l’endroit où nous nous rencontrons, communiquons, créons, nous éduquons et nous organisons. Cependant, alors que nous sommes à un tournant dans la jeune histoire du Net, il pourrait tout aussi bien devenir un outil essentiel pour améliorer nos sociétés, la culture et la connaissance qu’un outil totalitaire de surveillance et de contrôle.

Pour les signataires, l’extinction du Net égyptien, la réaction du gouvernement américain à WikiLeaks, l’adoption de mécanismes de blocage de sites web en Europe, ou encore les projets de « boutons d’arrêt d’urgence » sont “autant de menaces majeures pesant sur notre liberté d’expression et de communication (qui) proviennent d’industries et de politiciens, dérangés par l’avènement d’Internet” :

En tant qu’hôte du G8, le président Nicolas Sarkozy veut renforcer le contrôle centralisé d’Internet. Il a convié les dirigeants du monde à un sommet visant à œuvrer pour un « Internet civilisé », un concept qu’il a emprunté au gouvernement chinois. Par le biais de peurs telles que le « cyber-terrorisme », leur objectif est de généraliser des règles d’exception afin d’établir la censure et le contrôle, attaquant ainsi la liberté d’expression et d’autres libertés fondamentales.

Un bon coup de karcher pub

Une chose est de diaboliser l’Internet, et d’attenter aux libertés des internautes, une autre est de casser le thermomètre qui avait été créé pour accompagner la montée en puissance de l’Internet, répondre aux questions que cela pouvait poser, mettre autour d’une même table acteurs économiques, politiques et représentants de la société civile, et qui avait permis, ces dix dernières années, de montrer que le Net n’est pas cet “espace de non-droit” qui mériterait d’être “civilisé“.

Dans l’article qu’ils avaient consacré à l’”Internet civilisé“, Laurent Checola et Damien Leloup, du Monde.fr, avaient ainsi relevé cette phrase pleine de sous-entendus :

Nous allons mettre sur la table une question centrale, celle de l’Internet civilisé, je ne dis pas de l’internet régulé, je dis de l’internet civilisé.

De fait, depuis les années 90, de nombreuses conférences internationales cherchent à réguler l’Internet. C’est même ce pour quoi avait été créé le Forum des droits sur l’internet (FDI), à qui Nicolas Sarkozy a opportunément décidé de couper les subsides en décembre dernier, provoquant sa “dissolution anticipée“.

La mission du FDI était en effet précisément de “mieux comprendre les enjeux du monde en réseau, identifier ses problématiques et y répondre efficacement“, et sa composition, en deux collèges (acteurs économiques et utilisateurs), avait permis une véritable concertation entre les entreprises, les pouvoirs publics et les associations représentant la société civile.

La page consacrée à ses valeurs montre à quel point l’Internet n’y était pas perçu comme un espace anxiogène, qu’il conviendrait donc de “civiliser” :

La sphère virtuelle n’est pas un monde à part : le droit et les principes fondamentaux de la sphère réelle s’y appliquent, bien que certaines problématiques soient spécifiques à l’internet. Ces principes communs résultent de l’héritage démocratique français et européen et ils assurent le respect et l’équilibre entre des libertés fondamentales : liberté d’expression, vie privée, protection de l’enfant, protection du consommateur, dignité humaine… Les défendre au niveau mondial est une nécessité.

Le monde en réseau ne saurait se limiter à un espace marchand : le développement du commerce électronique et du paiement des services sur les réseaux ne doit pas occulter l’innovation majeure que représente l’internet, celle qui permet à chacun d’entre nous de s’exprimer et de communiquer librement partout dans le monde.

Juste après avoir détruit le FDI, Nicolas Sarkozy a inauguré un “Conseil National du Numérique” (CNN), afin de draguer le numérique et où ne figure, là non plus, aucun représentant de la société civile, mais que des chefs ou représentants d’entreprises privées… Nicolas Voisin (Ndlr, fondateur d’OWNI), pense qu’il est possible de hacker le CNN de l’intérieur, et d’y faire valoir les libertés des internautes.

On attend avec impatience ce qu’en diront les participants à cet e-G8. Le modérateur de l’atelier consacré aux “nouveaux outils pour la liberté“, Olivier Fleurot, le seul Français à avoir dirigé le Financial Times (où il avait brillé en évinçant le directeur de la rédaction qu’il accusait d’être “gratuitement agressif à l’égard de la City“), est le président de l’association européenne des agences de communication (EACA), et a été choisi par Maurice Lévy (le PDG de Publicis, organisateur de l’e-G8), pour faire passer l’agence de pub au mode 2.0, et “accompagner les transferts de budget des médias traditionnels vers le Net et le téléphone mobile“. Tout un programme.


Illustration de tête CC loppsilol.

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- Bienvenue à l’e-G8, le Davos du web

G8 du net : les bonnes questions de Nova Spivack

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Bienvenue à l’e-G8, le Davos du web http://owni.fr/2011/05/23/eg8-davos-web-internet-sarkozy-publicis/ http://owni.fr/2011/05/23/eg8-davos-web-internet-sarkozy-publicis/#comments Mon, 23 May 2011 14:19:48 +0000 Andréa Fradin et Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=64078

De la même manière que Cannes donne envie aux gens de faire des films, l’e-G8 doit être une vitrine du web.

Dans la bouche de Maurice Lévy, puissant patron du groupe de communication Publicis et président de ce pré-sommet consacré aux questions numériques, cette phrase résonne comme un slogan publicitaire à destination des jeunes entrepreneurs. Pendant deux jours, les 24 et 25 mai, le jardin des Tuileries va se transformer en FIAC de l’Internet, à l’initiative de Nicolas Sarkozy. En nous recevant dans son bureau des Champs-Elysées, le P-DG se veut rassurant: “Nous avons l’habitude de ce type de manifestations, nous organisons Davos”. Et c’est peut-être ce qui inquiète certains.

1000 invités, des pointures internationales (Mark Zuckerberg de Facebook, Eric Schmidt de Google, Jeff Bezos d’Amazon, le magnat des médias Rupert Murdoch), un grand chapiteau, des ateliers, des stands où les jeunes pousses du web pourront s’exposer: le parfait environnement pour réfléchir à “l’impact d’Internet sur l’économie”… Quitte à oublier le reste.

Car si l’item tarte à la crème ”Internet et la société” (avec la brochette Groupon, Orange, Facebook, le World Economic Forum et Wikipedia) est bien au programme de l’eG8, l’événement reste trusté par des problématiques au registre beaucoup plus industriel. Parmi les séances plénières, relevons:

  • “Internet et la croissance économique” (avec eBay, Vivendi, Google, Christine Lagarde)
  • “la propriété intellectuelle à l’heure du numérique” (avec Gallimard, Twentieth Century Fox, Universal et Frédéric Mitterrand) 
  • “encourager l’innovation” (Lessig, Financial Times, Free, Éric Besson)

Une discussion à l’attention des gros bonnets du web, qui encadrent également la manifestation: “le président a souhaité que l’e-G8 soit organisé en dehors des pouvoirs publics”, précise Maurice Lévy.

Dans les tuyaux depuis 2006

En tout, il devrait coûter aux alentours de trois millions d’euros, et Publicis se prépare déjà à un exercice “déficitaire”. Dans l’affaire, l’Élysée se contente de louer le jardin des Tuileries, ce qui veut donc dire que les grands acteurs du secteur sont poussés à la contribution.

Comme le révélait La Tribune dans son édition du 2 mai, les sponsors ont du débourser entre 100 000 et 500 000 euros pour être partenaires de l’événement et afficher un logo sur les affiches. Quand on lui demande s’il ne s’agit pas d’un achat de temps de parole, Maurice Lévy s’emporte:

Vous ne pouvez pas organiser une telle manifestation sans inviter certains acteurs. Si on n’avait pas convié Stéphane Richard, ça n’aurait pas été très sérieux.

Ce faisant, il reconnaît ainsi implicitement la présence d’Orange parmi les “co-chairmen”, aux côtés de Vivendi, eBay, Microsoft ou Capgemini.

Pour Lévy, l’e-G8 est un couronnement. Dès 2006, “au moment de la remise du rapport sur l’économie de l’immatériel”, il rêvait du Grand Palais pour “susciter la création”. Mais ses envies avaient dû être remisées au placard. Motif invoqué par Éric Besson et Nathalie Kosciusko-Morizet, tour à tour secrétaires d’État à l’économie numérique? Pas d’argent. Et c’est finalement Nicolas Sarkozy qui relance l’idée en mars 2011.

“Il voulait mettre à l’ordre du jour du G8 un certain nombre de points relatifs à Internet, et il m’a donc contacté”, se félicite Maurice Lévy. Et si ce dernier refuse de s’avancer davantage sur les priorités, il reconnaît quelques grandes lignes, pas si éloignées de “l’Internet civilisé” enterré en grande pompe il y a quelques semaines:

Il faut nourrir les huit chefs d’État. Le président a isolé certaines questions: les droits d’auteur, les infrastructures, la protection de l’enfance. Apporter des réponses à cela n’a rien d’anormal. Il faut se poser la question de ce qui forme ou non une démocratie.

“Ceux qui ne seront pas présents auront tort”

Ravi de la perspective qu’offrent ces deux jours, le publicitaire tient néanmoins à déminer le terrain, conscient des limites de l’exercice. “Sur Internet, si vous faites une connerie, vous vous faites reprendre 25 fois”, note-t-il dans un sourire. Encadré par deux collaborateurs versés dans le numérique, le boss de Publicis a visiblement identifié les points de friction potentiels:

Des gens qui ne représentent rien se feront entendre, et vice-versa. Nous avons invité quatre personnes de l’ICANN, le président de l’Electronic Frontier Foundation, Lawrence Lessig et d’autres universitaires d’Harvard ou Princeton. Ceux qui ne seront pas présents auront tort.

Parmi les absents, on peut signaler Cory Doctorow, l’un des plus célèbres activistes du web. Sur BoingBoing, il explique brièvement les raisons qui l’ont poussé à décliner l’invitation:

C’est une tentative de manipuler les gens qui s’intéressent à l’Internet, pour qu’ils prêtent de la crédibilité à des régimes qui sont en guerre avec le web ouvert et libre.

Pour Jérémie Zimmermann, porte-parole de la Quadrature du Net, il s’agit ni plus ni moins d’une “opération de blanchiment [des politiques publiques] qui masque ce que les gouvernements mettent en œuvre depuis un an”. En citant WikiLeaks, le COICA ou les directives européennes en matière de filtrage, il rappelle que l’ACTA, le fameux accord commercial anti-contrefaçon négocié en secret pendant deux ans, doit être soumis au vote lors d’un conseil des ministres de l’OCDE qui se tiendra… en même temps que le G8.

Au plan européen, de nombreuses initiatives citoyennes, dont la Quadrature du Net, Telecomix ou Network Cultures dénoncent de façon unanime la tenue de l’eG8, “sommet visant à œuvrer pour un Internet civilisé”, dont le sort ne dépendrait que d’une poignée de chefs d’État. Pour se faire entendre, ils ont déjà mis sur pied un contre-site: “G8 vs Internet”.

Abandon de la gouvernance?

Soucieux d’éviter le retour de bâton, Maurice Lévy tient à préciser que la qualité de l’e-G8 “dépendra de la qualité de ses interventions”. Celles-ci, poursuit le grand ordonnateur, pèseront chacune de la même façon dans les conclusions de l’événement, de “l’échange” (il ne faut surtout pas parler de keynote) mené entre Zuckerberg et la salle à l’avis d’un auditeur lambda. A l’en croire, cette synthèse, adressée aux dirigeants qui se réuniront dès le lendemain à Deauville pour le G8, devrait donc être équilibrée. Et dégagée du sceau du Palais: “Il n’y a pas l’ombre de l’Élysée sur les conclusions”, assure le patron de Publicis.

Pourtant, Nicolas Sarkozy et ses sherpas auraient orienté les débats depuis de longs mois. Selon des informations publiées par Frédéric Martel sur Marianne2.fr, le président de la République aurait fait barrage en 2010 à une conférence destinée à mettre en lumière l’action des cyberdissidents à travers le monde. “Vous m’avez fait part de votre intention de réunir une conférence internationale consacrée à la liberté d’expression sur Internet. Cette problématique doit être abordée de manière globale”, aurait-il fait savoir à Bernard Kouchner – encore ministre des Affaires étrangères par l’entremise de ses conseillers.

Aux yeux de Jérémie Zimmermann, le cadre du forum est biaisé, et il craint que les gouvernements n’abandonnent la gouvernance aux richissimes ténors du web, dont le poids est devenu tel qu’ils influent directement sur les décisions politiques:

L’e-G8 part du principe que les leaders d’Internet sont ceux qui ont de l’argent. Prenez les trois invités majeurs (Facebook, Google et Amazon, ndlr): deux d’entre eux font reposer leur modèle économique sur la collecte des données personnelles, et la dernière est passée maître dans l’art de déposer des brevets fantaisistes. Cette conférence ouvre la porte à des entreprises dont le business model est fondé sur la restriction.

Quand on lui oppose cet argument, Maurice Lévy tique. Il insiste:

Le débat ne sera intéressant que s’il est contradictoire.

Reste à savoir qui parlera le plus fort. Et dans l’arène, pas sûr que tous les participants jouent à armes égales.

NB: Sur le site officiel de l’eG8, Publicis vient de mettre en ligne une vidéo mettant en scène l’effort, les escabeaux et la sueur mobilisés pour la mise en place de ce grand événement. Le tout à grand renfort de musique blockbusterienne. On vous laisse déguster.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Crédits photo: eG8 Forum, Flickr CC tOkKa, celticblade, pierre bédat

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De l’Internet des “Pédos-nazis” à l’”Internet civilisé”

- G8 du net : les bonnes questions de Nova Spivack

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G8 du Net: les bonnes questions de Nova Spivack http://owni.fr/2011/04/25/g8-du-net-les-bonnes-questions-de-nova-spivack/ http://owni.fr/2011/04/25/g8-du-net-les-bonnes-questions-de-nova-spivack/#comments Mon, 25 Apr 2011 16:20:22 +0000 Vincent Truffy http://owni.fr/?p=59007 Nova Spivack, l’un des nombreux penseurs du Net, a reçu une lettre signée Nicolas Sarkozy. Le président français le prie de participer au «eG8», une réunion de deux jours  (24 et 25 mai) dans le jardin des Tuileries pour préparer le sommet des chefs d’État et de gouvernement de Deauville, les jours suivants, consacré à Internet.

Bill Gates, Vinton Cerf, Eric Schmidt (ex-Google), Sheryl Sandberg (Facebook, Mark Zuckerberg ayant refusé), Jeff Bezos (Amazon), Jack Ma (Alibaba), Harmut Ostrowski (Bertelsmann), Jimmy Wales (Wikipedia) ont reçu la même, tout comme les Français Stéphane Richard (Orange), Marc Simoncini (Meetic), Loïc Le Meur (Seesmic) Alexandre Mars (PhoneValley), Xavier Niel (Free) ou encore Jacques-Antoine Granjon (Vente-Privée).

Mais Nova Spivack, lui, a posté sur son blog, «dans un souci de transparence», les documents reçus : l’invitation (il faut «renforcer la contribution d’Internet à la croissance économique»), la note de cadrage («le forum e-G8 abordera la croissance économique, les sujets sociaux comme les droits humains, la protection de la propriété intellectuelle et le respect de la vie privée, ainsi que l’Internet du futur») et l’agenda des deux jours.

Pourquoi cette priorité et pas la croissance verte, le terrorisme, etc. ?

Mieux : tout en indiquant qu’il envisage de participer, il s’ouvre sur les doutes, les questions et les convictions que lui inspire cette initiative.

«Pourquoi le président Sarkozy organise cet événement à ce moment-là, s’interroge Spivack. Y a-t-il un agenda politique ?» Sur la question du moment, la réponse est simple : la France préside le G8 (et le G20) en 2011, elle organise le sommet de Deauville. La question est plutôt : pourquoi donner un écho particulier au Net alors qu’on trouve aussi parmi les priorités françaises pour le G8, la croissance verte, la lutte contre le trafic de drogue, le terrorisme et les armes de destruction massive ou encore un nouveau partenariat avec l’Afrique ?

Faut-il rapprocher l’organisation de ce forum – qui ne devrait être qu’un moment sans lendemain mais une «organisation privée placée sous la présidence de Maurice Lévy, PDG de Public» – de l’installation d’un Conseil national du numérique où sont annoncés plusieurs participants du e-G8 ? Faut-il rappeler que la présidence française du G8 avait promis que «les travaux sur cette question (seraient) nourris par les consultations et contributions de tous les acteurs concernés : les entreprises, les experts français et internationaux (pionniers du secteur, scientifiques, penseurs), la société civile» ?

«Cet événement servira-t-il à rendre les grosses sociétés et les grands gouvernements encore plus gros, ou sera-ce l’occasion de faire entendre la voix des gens, des citoyens du web ?, demande-t-il. Les délégués penseront-ils d’abord à eux-mêmes et à leur entreprise ou tenteront-ils de mettre des sujets plus vastes sur la table ?»

Notant que «le président Sarkozy, comme les autres dirigeants du G8, ont souvent soutenu des politiques qui n’allaient pas dans l’intérêt des internautes – par exemple sur les questions de vie privée, de liberté d’expression, de taxation ou de neutralité des réseaux» et clairement sceptique sur le fait que l’on puisse trancher des questions si complexes en deux jours, Spivack tique :

Cet événement est-il conçu pour rassembler tous les points de vue pour élaborer de nouvelles politiques ou pour apporter son soutien à des politiques qui ont déjà été décidées par les pays du G8 ?

Pourquoi cautionner par sa participation un tel forum ?

Ce qui me préoccupe le plus aujourd’hui, c’est qu’Internet se concentre dans les mains d’un petit nombre et que cette tendance se confirme avec la bénédiction des grosses sociétés et des gouvernements. (…) Si nous ne sommes pas extrêmement vigilants et prompts dans notre effort pour protéger un Internet ouvert des intérêts commerciaux et des gouvernements, je pense que nous finirons par bâtir un Internet qui ressemble plus à une vaste prison qu’à un tremplin pour une amélioration du sort de l’humanité.

Billet initialement publié sur Le bac à sable

Image Flickr AttributionNoncommercial id-iom

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Bienvenue à l’e-G8, le Davos du web

De l’Internet des “Pédos-nazis” à l’”Internet civilisé”

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