OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La lutte irrationnelle contre la délinquance http://owni.fr/2011/12/29/la-lutte-irrationnelle-contre-la-delinquance/ http://owni.fr/2011/12/29/la-lutte-irrationnelle-contre-la-delinquance/#comments Thu, 29 Dec 2011 15:10:41 +0000 Denis Colombi (Une heure de peine) http://owni.fr/?p=91898

Comme on ne change pas une recette qui marche, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant refait le coup du mélange “insécurité” et “identité nationale”, à quelques mois de la présidentielle. Sur son blog, l’économiste Olivier Bouba-Olga se demande pourquoi s’en prendre spécifiquement à la délinquance étrangère alors que la délinquance bien de chez nous est proportionnellement plus forte.

On peut en dire plus encore. En fait, même si les étrangers avaient effectivement plus de chances d’être délinquants que les nationaux, des mesures spécifiques les visant seraient non seulement inefficaces mais en plus nuisibles.

À la recherche de la nationalité de la délinquance

On pourrait cependant dire qu’il faut tenir compte que les deux populations ne sont pas également nombreuses et se demander si l’on a plus de chances de devenir délinquant lorsque l’on est étranger que l’on est français. Mais là encore ce serait insuffisant : en effet, il est possible que le groupe des étrangers soit plus souvent délinquant non pas du fait de la caractéristique “étranger” mais d’autres caractéristiques comme la richesse économique, le lieu d’habitation, le niveau de diplôme, etc. Il faudrait alors mener un raisonnement toutes choses égales par ailleurs pour vérifier si, effectivement, le fait d’être étranger a un effet propre, indépendant des autres variables, sur la délinquance des individus. Et encore : il faudrait se poser la question du recueil des données, dans la mesure où il n’est pas impossible que l’activité de la police soit plus forte sur le groupe des étrangers que sur celui des français…

Comme je n’ai pas de données suffisantes sous la main pour se faire (mais n’hésitez pas à m’indiquer des sources qui auraient fait ce travail), je vais adopter un raisonnement différent.

Sur quoi se basent les mesures proposées par Claude Guéant, comme d’ailleurs une partie importante des politiques en matière de sécurité menées dans ce pays depuis à peu près 1997 ? Il s’agit de renforcer les peines appliquée aux délinquants étrangers : on ajoute à la condamnation pénale une interdiction de séjour sur le territoire et on affirme que ça n’a rien à voir avec la double peine que le président de la République avait eu à cœur de supprimer. Autrement dit, on suppose implicitement que la délinquance peut s’expliquer sur la base d’un calcul rationnel : l’individu compare les gains de l’activité illégale et ses coûts, le tout avec les probabilités de réussir ou d’être condamné, et si le résultat est positif et supérieur aux gains d’une activité légale, il enfreint la loi, sinon il reste dans les clous. La théorie du choix rationnel : voilà le petit nom de ce type de raisonnement dans nos contrées sociologiques.

A partir de là, si l’on augmente les coûts de la délinquance par des peines plus fortes, on doit obtenir une réduction des activités illégales. Et la suite du raisonnement toujours implicitement mené par notre sémillant ministre se fait ainsi : s’il y a un groupe dans la population qui est plus délinquant que les autres, on peut modifier son calcul en lui appliquant des peines plus lourdes et une surveillance plus forte, ce qui est rationnel et économise des moyens. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Plutôt que d’essayer de montrer que le paradigme adopté est faux, restons dedans et poussons juste le raisonnement plus loin que cela n’a été fait en haut lieu. Considérons donc une situation où l’on a deux groupes, dont l’un – minoritaire – est plus fortement délinquants que l’autre – majoritaire. Supposons que l’on décide de contrôler et de punir plus fortement le groupe le plus délinquant en mobilisant les moyens de police et de justice plus fortement sur celui-ci. Que va-t-il se passer ? Va-t-on assister à une réduction globale de la délinquance ? La réponse est : non. Il est plus probable que l’on obtienne une hausse globale de celle-ci. Pourquoi ? Pour deux raisons.

Élasticité de la délinquance

Premièrement, si la délinquance découle effectivement d’un calcul rationnel, comme le suggère l’idée récurrente qu’en alourdissant les peines on va la décourager, alors il faut prendre cela au sérieux. Pour choisir d’entrer ou non dans la délinquance, un individu regarde certes les gains et les coûts de cette activité, mais il les compare avec les gains et les coûts des activités légales. Or il est fort possible que le groupe le plus délinquant soit dans cette situation précisément parce que les activités légales auxquelles il peut prétendre ne sont pas assez intéressantes. Cela peut être dû à des phénomènes de discriminations, des difficultés d’accès à l’emploi légal ou à des emplois suffisamment rémunérateurs. Par conséquent, la sensibilité de ce groupe aux coûts de la délinquance va être plus faible : une augmentation de 10% de ces coûts va provoquer une diminution de la délinquance inférieure à 10% – c’est ce que l’on appelle une élasticité. Il est possible que cette élasticité soit proche de zéro – une augmentation des coûts de la délinquance n’a aucun effet ou un effet négligeable sur la délinquance – voire soit positive : dans ce cas-là, une augmentation des coûts de délinquance parce qu’il stigmatise un peu plus le groupe en question, et renforcerait les discriminations ou les difficultés d’accès à l’emploi, entraînerait une augmentation de la délinquance…

Parallèlement, il est possible que dans l’autre groupe l’élasticité soit inférieure à -1. Dans ce cas, une augmentation de 10% des coûts de la délinquance entraîne une baisse de celle-ci supérieure à 10%. Il est donc rationnel de concentrer là les efforts car ils sont plus efficaces. Évidemment, cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire pour le groupe minoritaire : simplement que les actions à suivre devraient emprunter d’autres voies que l’alourdissement de la surveillance et des peines, par exemple par l’amélioration de l’accès à l’emploi. Une fois de plus, c’est ce à quoi mènent les outils intellectuels implicitement utilisées par le gouvernement.

Deuxièmement – car il y a un deuxièmement – si on tient compte du fait que les moyens de police et de justice sont limités – et quand on nous parle sans cesse d’austérité, on peut supposer qu’ils le sont -, se concentrer sur le groupe minoritaire revient à diminuer les risques et donc les coûts de la délinquance dans le groupe majoritaire. Or on vient de voir que celui-ci était probablement très sensible à ce coût. On risque donc de provoquer une augmentation de la délinquance dans le groupe majoritaire.

Une absurdité exemplaire

Pour le comprendre, prenons un exemple simple. Supposons que, considérant que les femmes conduisent globalement mieux que les hommes, on décide de ne plus effectuer de contrôles routiers que sur ces derniers. Peut-être obtiendra-t-on une baisse des infractions routières chez les hommes, si ceux-ci n’ont pas une élasticité trop faible, liée par exemple au fait que leur virilité est mise en cause s’ils roulent au pas… Mais on a toutes les chances d’encourager les femmes susceptibles de commettre des infractions d’en commettre encore plus. Au final, il est fort probable que la délinquance routière chez les femmes augmente – “vas-y chérie, c’est toi qui conduit… Oui, tu as bu trois fois plus que moi, mais au moins, on se fera pas emmerder” – et compense voire dépasse la baisse du côté des hommes… Il n’en va pas autrement dans le cas des Français et des étrangers.

Résumons : faible – voire absence de – baisse de la délinquance dans le groupe minoritaire, augmentation de la délinquance dans le groupe majoritaire… Au final, au niveau global, une augmentation de la délinquance. Comme je le disais plus haut, les conséquences d’une telle politique ne se mesurent pas seulement en termes d’inefficacité, mais aussi d’effets pervers, d’aggravation, autrement dit, de la situation de départ. Et cela, je le répète pour que les choses soient parfaitement claires, en suivant un raisonnement dans la droite ligne de celui tenu par le ministre et le gouvernement.

Cela ne veut évidemment pas dire qu’il ne faut rien faire – je connais les trolls sur ces débats et je sais qu’il y a de fortes chances pour que l’un d’eux m’apostrophe avec des “bien-pensance” et autre “angélisme” qui ne tiennent lieu d’arguments que lorsque l’on est dans les commentaires du Figaro ou du Monde… Mais ce que montre ce raisonnement, c’est qu’il ne faut pas segmenter la justice ou l’action de la police. L’égalité de tous face à la loi n’est pas seulement une exigence éthique : c’est aussi une condition de son efficacité.

Edit : Pour une analyse plus large des politiques visant les étrangers :
Lorsque l’éthique de responsabilité devient une doctrine et L’entêtement thérapeutique comme nouvelle éthique politique


Article initialement publié sur Une heure de peine sous le titre Des effets pervers dans la lutte aveugle contre la délinquance

Illustrations Flickr PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification UMP Photos Paternité Francois Schnell et PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales mafate69

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Des projets pour l’iPad http://owni.fr/2010/03/22/des-projets-pour-lipad/ http://owni.fr/2010/03/22/des-projets-pour-lipad/#comments Mon, 22 Mar 2010 17:47:02 +0000 Vincent Truffy http://owni.fr/?p=10533 L’iPad. Y aller vite ou y aller bien ? Aucun éditeur ne semble en tout cas douter de la nécessité de proposer une application sur ce support. Notamment parce qu’en un an, une large partie du trafic des sites web est passée sur les applications iPhone. Ainsi au début de cette année, l’application du Monde.fr représentait 15% des visites (7 millions sur un total de près de 47 millions).

La tendance est d’ailleurs à proposer plusieurs applications spécialisées plutôt qu’une grosse généraliste, avec des parties gratuites et des services payants. En mars, par exemple, Le Parisien prévoit de proposer, à coté de son application « classique », « Le Parisien Sorties », « Le Parisien restaurants », « Le Parisien PSG » et « Le Parisien turf », ce dernier proposant les cotes et les non partants gratuitement, mais les pronostics moyennant finances.

Aux États-Unis, où il est déjà possible de commander l’iPad (il faut avoir une IP et une adresse de livraison aux États-Unis, pour l’instant) et où Apple examine jusqu’au 27 mars la première salve d’applications spécifiques, les éditeurs se préparent pour être prêts au plus tôt (la sortie est prévue le 3 avril). Les magazines du groupe Condé-Nast semblent même particulièrement pressés d’y figurer pour prendre la meilleure part du marché et se faire un nom sur le nouveau support. Wired a déjà présenté depuis longtemps un prototype.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

[Chris Anderson, rédacteur en chef de Wired, présente l'application iPad de son magazine à la conférence de l'association américaine des agences publicitaire, à San Francisco. A cette occasion, il a précisé le mode de production : son équipe utilisera Air d'Adobe pour produire simultanément le magazine papier et la version iPad, sans qu'il y ait deux « éditions » différentes.]

Mais GQ promet une première version dès le numéro d’avril. Vanity Fair suivra en juin. Le New Yorker et Glamour à l’été. Ces publications devraient, dans un premier temps, tester la vente de contenu sur l’iTunes Store (Apple prélève 30%, ne rétrocède aucune donnée sur les abonnés et se réserve le droit de refuser les « contenus inappropriés » comme l’application du Bild qui propose des filles dénudées) avant de tenter la vente directe, une fois l’effet de mode de l’iPad estompé.

Pourtant, pour ce que l’on a déjà vu, il n’y a pas de grosse invention dans l’ergonomie, juste une sorte de gros pdf, qui permet de lire des vidéos, de tourner les pages et de zoomer sur un article.

Cliquez ici pour voir la démo

Sur le même créneau (le magazine de mode à grosses photos, voir ci-dessus — cliquez sur le petit «V» en bas des pages pour «interagir» avec les pages), le magazine VIV envisage un traitement plus novateur :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

VIV Mag Interactive Feature Spread – iPad Demo from Alexx Henry on Vimeo.

L’arrière-boutique :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

VIV Mag Featurette: A Digital Magazine Motion Cover and Feature for the iPad from Alexx Henry on Vimeo.

Billet initialement publié sur le blog de Vincent Truffy

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#jdlm: Critique de la télé-réalité ou télé-réalité de la critique? http://owni.fr/2010/03/18/critique-de-la-tele-realite-ou-tele-realite-de-la-critique/ http://owni.fr/2010/03/18/critique-de-la-tele-realite-ou-tele-realite-de-la-critique/#comments Thu, 18 Mar 2010 12:15:19 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=10323 Faire un film de l’expérience de Milgram pour critiquer la télévision, tel était le projet de Christophe Nick avec Le Jeu de la Mort (France Télévisions, 2010). Un film étrange, qui met face à face deux fictions: La télévision, représentée par la figure caricaturale du jeu télévisé (assimilé, on ne sait pourquoi, à la télé-réalité, alors qu’il s’agit d’un programme d’un tout autre genre), vs LA science, incarnée par un professeur à barbe blanche, le psychologue Jean-Léon Beauvois, appuyée le rappel insistant de l’archive et sur une batterie de graphiques superbement designés.

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Que la télévision ait une influence sur les représentations et les comportements est a priori peu douteux, et la critique de l’obéissance aveugle, qui est au fondement de l’expérience de Milgram, apparaît comme une cause sympathique.

D’où vient alors le sentiment permanent de malaise distillé par le film? Au-delà de la manipulation des cobayes, et du paradoxe de produire une véritable situation de télé-réalité (autrement dit une mise en scène de la “vraie vie” avec des sujets consentants destinée à produire du spectacle), il y a me semble-t-il plusieurs erreurs de démonstration.

L’expérience de Milgram portait sur l’autorité. Or, sa transposition télévisée ne démontre pas l’existence d’une “autorité” télévisuelle, mais plutôt la soumission au dispositif. Pour avoir participé à plusieurs émissions de radio et quelques émissions de télévision, je peux témoigner qu’il existe une forte pression du dispositif. Une émission est une machine dont le déroulement réglé s’impose, non sans violence, au participant. Elle implique la mobilisation d’un appareillage coûteux, d’une équipe de plusieurs personnes, de locaux spécialement disposés réservés à cet effet, etc.

Bousculer ce dispositif, une fois qu’on a accepté d’y prendre part, n’est guère envisageable, et reviendrait approximativement à prendre les commandes d’un Boeing après le décollage. Au-delà de questions de légitimité ou d’autorité, il y a la simple réalité qu’un participant est toujours étranger au dispositif, dont il est un usager temporaire, et dont il n’est pas responsable.

Ces questions n’ont jamais été abordées pendant le documentaire, dont la doctrine revenait à poser que la lourde machine d’un jeu télévisé avec son public était équivalente à une expérience de psychologie réalisée dans des locaux universitaires. (Accessoirement, on peut noter que l’expérience de Milgram comporte elle aussi un dispositif non négligeable, dont l’influence n’a pas été prise en compte.)

La transposition brute de l’expérience de Milgram au contexte télévisé est un projet dont le fondement paraît des plus fragiles. Même en reprenant les catégories du film, je ne pense pas du tout que LA télévision a une autorité équivalente ou même comparable à celle de LA science (qui a en réalité des “autorités” très variables). Son influence – bien réelle – passe par l’imposition d’images et de récits, des systèmes de répétition et de normalisation plus élaborés et plus sournois que l’injonction d’avoir à se conformer à un protocole. N’importe quelle autre situation imposant à un quidam de s’asseoir aux commandes d’une machine lancée à pleine allure produirait un registre de réactions adaptatives semblables, qu’on soit à la télévision, dans une gare ou sur un chantier.

L’obéissance fait partie de la vie sociale, soit. La télévision – comme la presse, le cinéma, la radio… – est un de ces systèmes d’emprise par conformité au consensus général, sans conteste.

Qu’a montré à cet égard Le Jeu de la Mort? Rien de plus que l’idée reçue. Certainement pas le pouvoir de la normalisation par l’image, qui s’impose dans la durée, et dont l’Italie berlusconienne apporte aujourd’hui le plus triste témoignage (cf. Videocracy d’Eric Gandini).

Dans la France (de moins en moins) sarkozyste, un petit coup d’épingle critiquant la soumission à l’autorité ne peut pas faire de mal – et a certainement fait réfléchir Tania Young (mais pas Christophe Hondelatte).

Cela posé, plutôt que la démonstration annoncée, on n’a eu qu’un spectacle de plus.

Lire également:

> Jean-Léon Beauvois: Faire obéir les “participants” avec Milgram
> Rue89: Pourquoi “Le Jeu de la mort” ne dénonce pas grand chose

A voir :

> Obedience Studies, sur Vimeo

» Article initialement publié sur Culture Visuelle

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