OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les espions s’ouvrent au public http://owni.fr/2011/11/10/les-espions-sources-ouvertes-public/ http://owni.fr/2011/11/10/les-espions-sources-ouvertes-public/#comments Thu, 10 Nov 2011 11:16:52 +0000 Benoit Le Corre http://owni.fr/?p=86397 Au début du mois et pour la première fois de son histoire, la CIA a ouvert les portes de son centre dédié à l’étude des sources ouvertes, localisé en Virginie. Seule invitée, la journaliste d’Associated Press, Kimberly Dozier. Elle a ainsi pu décrire [en] le fonctionnement de l’Open Source Center (OSC)[en], et de ses activités depuis 2005 consistant à analyser en profondeur “les sources ouvertes”.

Cette formule renvoie à une pratique commune à la plupart des agences de renseignement, dont la DGSE en France. La collecte et l’analyse des informations issues de sources dites ouvertes, accessibles au public, reposant tout de même sur des agrégateurs de bases de données financières et juridiques (accessible par un abonnement) un peu plus intéressants que Google (type Nexis.com, commercialisant notamment une partie des données privées des ressortissants américains).

“Ce sont des sources d’informations accessibles à tous, que l’accès soit payant (bases de données commerciales) ou non” - Définition du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R)

L’OSC américain s’affiche

Cette journée portes-ouvertes, à destination d’une unique journaliste, demeure avant tout une opération de comm’. La CIA souhaitait rassurer les citoyens américains quant à l’utilisation de leurs données personnelles par l’agence, notamment celles accessibles via les réseaux sociaux. Chose faite avec la dépêche d’AP qui se veut réconfortante : “la CIA peut suivre jusqu’à cinq millions de tweets par jour (…), Facebook, les journaux, les chaînes de TV, les radios, les chats sur Internet”, à condition qu’ils “se trouvent à l’extérieur du territoire américain”.

Ainsi, tout post publié sur un réseau social en dehors des États-Unis peut-être lu par la CIA. Selon Doug Naquin, directeur de l’Open Source Center cité par Kimberly Dozier, il en va de même pour tous les médias étrangers. Qu’importe la langue, l’OSC serait capable d’analyser la totalité des sources ouvertes. Les acteurs d’un tel exploit aiment s’appeler les “bibliothécaires vengeurs”. Doug Naquin les décrit comme l’“héroïne de ‘la Fille avec le tatouage de dragon’ [NDLR de Stieg Larsson] : une excentrique pirate informatique, irrévérencieuse, qui sait trouver des choses que les autres ne trouveront pas». Ils utilisent des logiciels développés par des sociétés externes et adaptés aux besoins de la CIA. Collecte, filtrage, traduction… un nombre monumental d’infos seraient analysées selon des critères pré-définis.

Dans la dépêche d’AP[en], l’Open Source Center se vante d’avoir prévu les révolutions du printemps arabe et pris le pouls de l’opinion mondiale à l’annonce de la mort de Ben Laden.

Cette vision enchanteresse de la toute puissance de l’OSC trouve un opposant en Robert David Steele Vivas. Ancien agent des Marines, il est un éternel militant de l”Open Source Intelligence” depuis les années 1980. Il estimait alors qu’un service de renseignement était inutile s’il ne reposait pas sur un socle solide d’informations issues des médias traditionnels. Pour faire simple, comprendre un secret implique qu’on connaisse son contexte.

Fin du XXè, le discours de ce libre penseur s’est vu légitimé par l’arrivée d’Internet et la démultiplication des données sur le web. OWNI a contacté Robert David Steele Vivas pour le confronter à l’existence de l’Open Source Center. On imaginait grossièrement que cette cellule représentait, en soi, une finalité de ses travaux d’étude sur les sources ouvertes. Erreur ! Robert Steele ne mâche pas ses mots pour dénoncer l’OSC, surtout, son directeur Doug Naquin qu’il a essayé de virer dès 2005[en].

L’Open Source Center est une cellule un peu bâtarde, déclassée, mal dirigée et sous financée (…) Doug Naquin n’est pas capable de faire des analyses, de gérer une multinationale et de partager des informations (…) en un mot il est incompétent

Cet extrait d’article, disponible sur ce site[en], trouve écho dans les correspondances que nous nous sommes adressées. Robert Steele ne cesse de dénoncer la médiocrité de l’Open Source Center. Selon lui, la cellule aurait toujours un train de retard, et ce malgré le nombre conséquent d’outils et de cerveaux mis à sa disposition. Pour preuve : d’après la dépêche d’AP, l’OSC aurait compris l’enjeu que représentent les enjeux sociaux lors de la Révolution Verte en Iran… en 2009. Soupesons cette information : il est difficile d’admettre que la plus grande agence de renseignement au monde ait attendu que Facebook atteigne 200 millions d’utilisateurs pour s’intéresser aux réseaux sociaux.

Autre faute professionnelle relevée par Robert David Steele Vivas : l’OSC ne partagerait ses informations qu’avec une dizaine de pays, qu’il devine être l’Australie, le Canada, le Royaume-Uni, la Nouvelle Zélande, le Pays-Bas, la Norvège, la Suède, le Danemark, la Finlande et Singapour. La France ne figure pas parmi ces invités d’honneur.

Une DGSE plus discrète

L’Hexagone possède pourtant son propre système de renseignement via les sources ouvertes. Celui-ci n’est pas une cellule autonome, comme c’est le cas de l’OSC aux USA, mais un service parmi tant d’autres intégré à la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure).

Il y a bien un secteur des sources ouvertes, ayant pour mission de consulter, d’analyser tout ce qui est disponible dans les médias ou sur les réseaux sociaux.
Nicolas Wuest Famose, chargé de communication à la DGSE

Ce travail, presque bibliothécaire, serait préalable à toute activité de renseignement. “Il ne s’agit pas d’une lecture offensive, mais d’une lecture passive”, rabâche le chargé de comm’. Comprendre là qu’il n’est pas affaire d’espionnage. Mieux encore, Nicolas Wuest Famose explique qu’il ne faut pas considérer le renseignement via les sources ouvertes comme… du renseignement : “Aux États-Unis on appelle ça l’Intelligence des sources ouvertes”.

On doute pourtant de la légalité à temps plein du renseignement via les sources ouvertes, pour deux raisons majeures :

  • les nouvelles recrues maîtriseraient le piratage informatique et seraient rompues aux différents modes de télécommunication (à l’instar des Américains et leur modèle de la “Fille au tatouage de dragon”)
  • les outils seraient assez performants pour sonder la globalité des médias et Internet

Interrogé à ce sujet, Nicolas Wuest Famose a souligné (après maintes demandes) que la DGSE pouvait accéder à toutes informations issues du web invisible (c-a-d qui n’est pas indexé par les moteurs de recherche du type Google). Ils utilisent pour cela des logiciels développés par d’autres sociétés et adaptés à leurs besoins, comme l’OSC. Malheureusement, impossible d’en savoir plus sur ces entreprises partenaires.

OWNI : “Comme l’Open Source Center, vous organiseriez peut-être une visite pour l’un de nos journaliste aux sources ouvertes de la DGSE ?”
Nicolas Wuest Famose : “(rires) Ce n’est pas prévu pour le moment!”

A croire que l’identité de ces personnes qui ne font pas du renseignement demeure aussi secrète que celle des espions.


Photos et illustrations via flickr par Fish Gravy [cc-by] et Tsevis [cc-by-nc-nd]

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Wikileaks: renaissance du journalisme ou imposture médiatique? http://owni.fr/2010/10/21/wikileaks-renaissance-du-journalisme-ou-imposture-mediatique/ http://owni.fr/2010/10/21/wikileaks-renaissance-du-journalisme-ou-imposture-mediatique/#comments Thu, 21 Oct 2010 17:50:12 +0000 Olivier Cimelière http://owni.fr/?p=26015 Pour les assoiffés d’investigation journalistique, Wikileaks est le canal médiatique hype du moment. Depuis quelques semaines, le site d’information participatif est sous les feux des projecteurs pour avoir balancé sur la place publique plus de 90 000 documents internes sur les opérations de l’armée américaine en Afghanistan. Cautionné et repris en exclusivité par un trio de médias chevronnés et renommés (The Guardian, Der Spiegel et The New York Times, excusez du peu !), Wikileaks a soudainement gagné ses galons de journaliste enquêteur là où il apparaissait jusqu’à présent comme un ovni éditorial faisant certes bouger les lignes de l’information mais aux intentions parfois difficiles à cerner.

Fondé en décembre 2006 par Julian Assange, ce site entend révéler au public des vérités sensibles ou estampillées « confidentiel défense » qu’institutions, entreprises et médias classiques s’échineraient à bâillonner. Avec le récent coup d’éclat des « warlogs » américains sur l’Afghanistan, le démiurge de Wikileaks joue maintenant dans la cour éditoriale des grands. A tel point qu’il est célébré par d’aucuns comme le nouveau héraut de la démocratie et de la transparence totale. Mi-août, il fut ainsi invité à s’exprimer sur le reportage d’investigation devant les étudiants de la prestigieuse école de journalisme de l’université de Berkeley en Californie. Autre signe d’adoubement institutionnel : Julian Assange écrit des tribunes éditoriales pour le quotidien suédois Aftonbladet. Enfin, il reçu de la branche britannique d’Amnesty International, le Prix des Médias pour saluer son œuvre de défense des droits de l’Homme.

Julian Assange est désormais le tribun qu’on s’arrache pour parler journalisme, investigation et censure dans les colloques les plus prestigieux ou celui qu’on cite volontiers pour parler de liberté de l’information. Cet engouement pour ce justicier épris de transparence suscite pourtant quelques questions épineuses et non des moindres. N’est-on pas au final en train de propulser un peu vite l’énigmatique Julian Assange en preux chevalier des temps éditoriaux ou nouvel Albert Londres des réseaux numériques ?

Un personnage digne des thrillers américains

Australien de 39 ans, Julian Assange est un pur autodidacte qui a traîné ses guêtres très jeune dans le monde entier où il a accompagné sa mère dans ses périples mi-artistiques, mi-mystiques « New Age » et où il aura fréquenté « 37 écoles et 6 universités » au total. Pour mieux se figurer la personnalité ésotérique de l’homme, on peut lire les exhaustifs portraits publiés dans The New Yorker en juin 2010 et Le Monde en août 2010.

Ce parcours hors normes trouve naturellement son prolongement dans le profil que Julian Assange se plait à lui-même cultiver. Sa biographie demeure nimbée d’un halo de mystère qui sied à dessein au fondateur de Wikileaks. Sans résidence officielle, l’ex-étudiant en mathématiques et physique de l’université de Melbourne se veut un routard des temps modernes qui ne s’encombre d’aucun bien matériel sinon d’une fortune personnelle accomplie dans le Web. Laquelle lui permet de sillonner la planète au gré de ses pérégrinations investigatrices. Tout juste lui connaît-on un passé un peu sulfureux de geek activiste et de hacker qui lui a valu quelques démêlés avec les autorités policières.

Côté look, l’homme ne laisse pas indifférent non plus. Grand, svelte et chevelure platine, il joue facilement de ce physique avantageux qu’il appuie d’un envoûtant regard oscillant entre une posture ténébreuse et l’œil malicieux de celui qui se joue des pouvoirs. Si pendant longtemps il a épousé une allure d’informaticien baroudeur un peu dépenaillé, il a opté récemment pour un style plus sobre à la « Men in Black » qu’il décline depuis à chaque intervention publique comme lors du colloque sur l’information en temps de guerre le 14 août dernier à Stockholm.

Ces attributs que les médias ont largement repris lui ont été fort utiles pour se bâtir une aura hybride messianique, à mi-chemin entre prophète de l’information numérique et chevalier du journalisme alternatif en croisade. A cet égard, son premier blog « IQ.org » contenait déjà les germes avancés de la profession de foi éditoriale qu’il concrétisera ensuite avec la création de Wikileaks. Aujourd’hui, il n’hésite pas à s’autoproclamer le « service de renseignement du peuple » et à « changer le monde en abolissant le secret officiel ». Une posture missionnaire qu’il a réaffirmée en juillet dernier au cours d’une très courue conférence TED à Oxford devant un parterre de spectateurs huppés issus de l’univers des nouvelles technologies.

Lorsque la pythie des news ne court pas les pupitres des conférences pour évangéliser le public, Julian Assange délivre ses oracles quotidiens via son fil Twitter qui rassemble près de 121 600 abonnés (au 24 août 2010) mais qui présente la particularité de ne suivre … personne ! Au journaliste du Monde, Yves Eudes qui l’interrogeait en août dernier, il brosse en résumé l’autoportrait protéiforme suivant : « Je suis militant, journaliste, programmeur de logiciels et expert en cryptographie, spécialisé dans les systèmes conçus pour protéger les défenseurs des droits de l’homme ». Ni plus, ni moins !

Un décorum libertaire soigneusement cultivé

Philosophie libertaire et Internet libre sont les valeurs de Wikileaks

L’environnement dans lequel il campe son personnage à la proue de Wikileaks, n’est pas non plus laissé au hasard. Le profil de l’entreprise éditoriale s’inspire pleinement de la philosophie des chantres de l’Internet libre. Presque homonyme avec sa célèbre devancière, l’encyclopédie collaborative Wikipedia, Wikileaks se veut à ce titre un organisme à but non lucratif. A travers ce dernier baptisé The Sunshine Press, le site vit de donations et de levées de fonds individuelles via un unique mode de paiement qui sonne très Web 2.0 : PayPal ! Un financement qui exclut volontairement en revanche les banques et les entreprises afin de préserver l’indépendance du site.

Le mode de fonctionnement de Wikileaks est également symptomatique du credo de l’Internet libre. Pour cela, il repose sur le concept des « lanceurs d’alerte » (connu dans le monde anglo-saxon sous le terme de « whistleblowing »).

Défenseurs des droits de l’homme, technophiles, citoyens avertis, journalistes d’investigation sont ainsi invités à divulguer des informations compromettantes aux employés bénévoles de Wikileaks (dont le nombre est estimé à 5 aujourd’hui mais sur lequel Julian Assange entretient un flou permanent) via un système informatique maison à base de formulaires sécurisés, de courriels cryptés et de serveurs redondants pour éviter tout sabotage externe ou intrusion indélicate. Cette discrétion forcenée est véritablement la marque de fabrique de Wikileaks pour préserver le maquis de ses informateurs (800 à un millier de bénévoles répartis dans le monde entier selon diverses sources).

Enfin, pour parachever ce capiteux parfum libertaire et génétiquement pur Web 2.0, Wikileaks bénéficie du soutien d’associations de hackers et de militants des logiciels libres à travers la planète entière comme par exemple le hacker et officieux porte-parole de Wikileaks aux Etats-Unis, Jacob Appelbaum. Une sommité de l’Internet libre très impliquée par ailleurs dans le Tor Project, un projet de logiciel libre informatique pour communiquer anonymement sur Internet. Dans le même registre, Wikileaks est également hébergé par une entreprise qui abrite par ailleurs le sulfureux site The Pirate Bay, site de téléchargement illégal de contenus musicaux et vidéo. Sans parler de l’appui officiel reçu de l’émanation politique du site scandinave qui dispose de deux députés au Parlement européen depuis les dernières élections.

Des coups médiatiques pour marquer les esprits

Depuis sa fondation, Wikileaks affiche un impressionnant tableau de chasse. Parmi les cibles épinglées, on trouve des informations aussi variées qu’épineuses comme le blanchiment d’argent opéré par la banque suisse Julius Baer (en procès actuellement avec le site), la faillite frauduleuse de la banque islandaise Kaupthing, la pollution mortelle de la société Trafigura en Côte d’Ivoire, la corruption de membres du pouvoir au Kenya, les violations des droits de l’homme de l’administration américaine dans le camp de prisonniers de Guantanamo à Cuba. La liste est particulièrement fournie et n’épargne aucun domaine, ni aucune zone géographique du monde.

Toutefois, c’est en avril 2010 que l’activisme investigateur de Wikileaks connaît véritablement son heure de gloire. Le 5 de ce mois, le site frappe fort en mettant en ligne une vidéo intitulée « Collateral murder ». Tenues secrètes jusqu’alors par les autorités militaires américaines, les images sont accablantes. Elles révèlent une abominable bavure de l’armée US en Irak. Avec acharnement et sans états d’âme, deux hélicoptères tirent et tuent à la mitrailleuse 30 mm une douzaine de civils dont deux photographes de l’agence de presse Reuters. L’information est répercutée par les télévisions du monde entier et le gouvernement américain sommé de s’expliquer sur cet acte de barbarie.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Pour Wikileaks, c’est le jackpot sur toute la ligne. En s’attaquant à la première puissance mondiale aussi frontalement, le site sort du succès d’estime restreint dont il jouissait auprès des initiés pour devenir un acteur notoire du monde de l’information. De ce coup d’éclat, Wikileaks ne tarde guère à en faire fructifier la cagnotte médiatique en publiant en juillet 2010 de nouveaux documents militaires américains top secret sur la guerre menée en Afghanistan. Les fichiers dévoilent la réalité crue et kafkaïenne du bourbier mortel dans lequel s’empêtrent les « boys » et leurs alliés.

Cette fois, le sacre journalistique de Wikileaks est acquis. Nombreux sont les éditorialistes du monde entier qui n’hésitent pas à établir de glorieuses comparaisons avec les « Pentagon papers » révélés en leur temps par le New York Times. Des documents qui mettaient à jour les mensonges éhontés de l’administration Lyndon Johnson sur la guerre contestée du Vietnam et qui hâtèrent le retrait définitif des soldats américains. Julian Assange lui-même est dithyrambique. Il n’hésite pas à qualifier son scoop d’équivalent à la divulgation des archives secrètes de la sinistre police est-allemande, la Stasi en 2003.

Alléluia, le futur du journalisme est-il là ?

Pareils thuriféraires se retrouvent également dans la communauté des blogueurs et experts du Web. Ainsi, Jeff Jarvis, journaliste reconnu et auteur du livre blockbuster La Méthode Google, juge que « Wikileaks fournit un travail qu’un journal ne voudrait ou ne pourrait pas faire. Et pour un gouvernement ou une entreprise, un journal est plus facile à attaquer ». Sur son blog « Sur mon écran radar », Jean-Christophe Féraud, par ailleurs journaliste nouvelles technologies et médias aux Echos, se réjouit de voir un nouveau souffle pour le journalisme d’investigation à travers le coup réalisé par Wikileaks. Avec précaution toutefois, il pense discerner « une renaissance possible du métier dans son expression la plus noble et la plus radicale ».

Autre blogueur émérite, Enikao, lui emboîte d’ailleurs le pas en commentant l’avis de Jean-Christophe Féraud : « On peut aussi être un peu plus optimiste et voir dans Wikileaks une stratégie de contournement : là où certains médias seraient gênés aux entournures pour révéler une info (sur leur actionnaire ou sur un gros annonceur), la stratégie grandiloquente de Wikileaks (conférence publique, mystère et tout le toutim) peut éventuellement permettre aux journalistes de traiter l’information avec l’angle vaguement innocent du « spectaculaire », façon ‘oh la vache vous avez vu ce que Wikileaks vient de révéler ?’ ».

Des réflexions qui trouvent écho chez d’autres observateurs pointus du Web et de l’information. Sur son site Novövision, Narvic estime que l’approche technologique de Wikileaks ouvre des perspectives pour la presse traditionnelle : « Ses documents numérisés seraient répartis sur différents serveurs, dans des pays aux législations sur la presse différentes. Ils circuleraient en permanence entre ces serveurs par des « tunnels » informatiques sécurisés, noyés dans une masse considérable de « fausses données » destinées à les dissimuler. C’est un recours intéressant, quand on voit que même une démocratie comme la Grande-Bretagne avait permis qu’on empêche The Guardian de publier les documents de l’affaire Trafigura ».

Ancien rédacteur en chef et fondateur du Post.fr, Benoît Raphaël est encore plus catégorique concernant l’apport journalistique de Wikileaks qu’il considère comme l’équivalent d’une « social newsroom » bien utile pour les médias classiques : « On ne parle pas de journalisme citoyen, mais bien d’un partage des compétences. Avec Wikileaks, cette dimension participative va jusque dans l’organisation de la récupération et de la révélation de données inédites dans le cadre du journalisme d’investigation ».

Eden éditorial ou obscure machine à manip’ ?

Devant un tel déferlement de louanges, Wikileaks incarne-t-il pour autant l’Eden journalistique que les tenants de l’alter-information numérique n’ont de cesse de promettre face aux médias traditionnels aujourd’hui en pleine crise de crédibilité et de respectabilité ? Est-il réellement une alternative éditoriale aux oligarques de l’information et à la nomenklatura journalistique si décriés pour leurs compromissions et renoncements envers les pouvoirs politiques et économiques ?

Avec Wikileaks, certains se réjouissent de voir au rebut ces intermédiaires « véreux » qui triturent et brident l’information selon leurs intérêts. Chacun peut accéder désormais en direct à la réalité des choses et s’investir activement en tant qu’émetteur et/ou récepteur sans devoir passer par les fourches caudines des possesseurs des circuits médiatiques. Si l’on écoute les prophéties de Julian Assange et de ses panégyristes, on peut effectivement être tenté de voir Wikileaks comme la réponse citoyenne et démocratique face à des médias timorés et parfois verrouillés de l’intérieur.

Si l’histoire est belle, il convient de savoir raison garder à l’égard de Wikileaks. A son corps défendant, Internet est ainsi devenu un terrain de jeu très prisé pour distiller sa propre logique informationnelle. Sur fond d’ostracisme médiacratique, nombreux sont les sites à s’engouffrer dans la brèche de l’information communautariste et conspirationniste tout en professant paradoxalement (et abusivement !) une volonté d’ouverture et le respect de la liberté d’opinion de chacun.

Narvic fait notamment état des questions soulevées par le journaliste américain Jim Barnett. Spécialiste du journalisme à but non lucratif, il s’interroge franchement sur les motivations exactes de Wikileaks : « Si Wikileaks veut promouvoir la transparence, qu’il commence par l’appliquer à ses propres activités ». Ce n’est effectivement pas là le moindre des paradoxes que recèle Wikileaks. Il est bien malaisé par exemple de savoir qui finance vraiment le site et de quelles imbrications exactes bénéficie-t-il pour continuer ses opérations.

Bien que des grands noms des médias continuent d’accorder du crédit éditorial à Wikileaks, d’autres commencent à prendre leurs distances. Newsweek a ainsi récemment publié un article se demandant s’il ne fallait pas lancer à son tour l’alerte à l’égard de Wikileaks pour son manque criant d’éthique. De respectables ONG de défense des droits de l’homme (dont Amnesty International et Reporters Sans Frontières) se sont également émues des pratiques un peu laxistes de Wikileaks. En publiant les « warlogs » d’Afghanistan, le site a aussi laissé fuiter les noms des Afghans qui aident les forces américaines sur le terrain. Dans le genre information responsable, on a connu mieux ! L’éditorialiste du Washington Post, Marc Thiessen, cogne encore plus rudement en réclamant purement et simplement l’arrêt de Wikileaks au motif que le site est une entreprise criminelle.

D’anciens fervents alliés se détachent également de Wikileaks. C’est le cas de l’association conspirationniste ReOpen911 qui milite pour le réexamen des enquêtes sur le 11 septembre 2001. Celle-ci espérait que Wikileaks soit un auxiliaire de taille dans son objectif de réviser l’histoire officielle des attentats du World Trade Center à New York. Pas de chance, Wikileaks n’a pas donné le résultat escompté. Le site est aujourd’hui accusé par ReOpen911 d’être manipulé par la CIA. Dur d’être un héros de l’information !

La théorie du complot en toile de fond

Le fondateur de Wikileaks recourt souvent à la théorie du complot pour faire face aux oppositions

Avec l’émergence des sites d’information alternative et devant la récusation des grands médias, la théorie du complot fait régulièrement florès. En cas d’adversité et/ou de résistance trop forte, il est de plus en plus fréquent de voir brandie en retour la rhétorique conspirationniste.

Pour s’en convaincre, il suffit de se souvenir de l’incroyable écho médiatique que le journaliste et animateur du Réseau Voltaire, Thierry Meyssan est parvenu à générer autour de sa thèse révisionniste de l’attentat du 11 septembre sur le Pentagone : jamais aucun avion ne s’est écrasé sur le bâtiment du département de la Défense du gouvernement américain. Les destructions sont l’œuvre d’un missile que le complexe militaro-industriel américain aurait lancé pour justifier a posteriori des interventions militaires au Moyen-Orient. Grâce à une habile stratégie militante sur Internet et en dépit des sévères critiques des médias, il parvient à mobiliser. Il fera même un énorme succès de librairie avec son livre-enquête L’Effroyable Imposture (300 000 exemplaires écoulés).

Internet est véritablement devenu un champ de bataille où information et militantisme se côtoient sans parfois parvenir à se distinguer clairement. Le mystère cultivé autour de Wikileaks par Julian Assange a par conséquent de quoi laisser dubitatif sur les intentions profondes et réelles de son fondateur. A mesure qu’il empile les scoops et les révélations, il doit affro”znter les réactions adverses. Réactions qu’il esquive et impute à son tour sur le compte bien pratique de la théorie du complot.

Lors de ses interventions publiques, Julian Assange ne se prive pas en effet pour narrer par le menu les petites tracasseries et grandes menaces dont il semble faire l’objet. A ses yeux, les enquêtes policières australiennes, américaines et britanniques sur Wikileaks et la mise sous surveillance de certains des militants procèdent d’un harcèlement destiné à protéger des intérêts puissants.

Avec lui, les anecdotes complotistes abondent. Il dénonce le gouvernement australien de retenir son passeport pour l’empêcher de faire son travail ou le fait qu’il ne peut pas pénétrer le territoire américain sous risque d’être embastillé illico. Il s’étonne ouvertement de la suppression du compte Wikileaks sur Facebook. Il narre volontiers la tentative d’assassinat au Kenya à son encontre après qu’il eut révélé la torture et l’assassinat de deux opposants kenyans.

Scénario haletant pour fier-à-bras éditorial

Plus les oukases de la CIA et la Maison Blanche s’abattent sur Wikileaks et réclament la fermeture du site, plus Julian Assange conforte son image d’inflexible prophète de l’information libre. C’est ainsi qu’il a fait part de son intention d’immatriculer son site en Suède. Pays où les lois n’autorisent pas la censure et sont très protectrices en matière de liberté de la presse et de confidentialité des sources. Et histoire de montrer qu’il ne cède pas aux pressions, il a récemment annoncé qu’il va récidiver en publiant 15 000 nouveaux documents sur la guerre en Afghanistan.

Le dernier avatar en date que Julian Assange a dû subir, relève du même mécanisme. Mis un peu trop vite et trop légèrement en examen par un procureur suédois zélé pour viols et violences commis sur deux jeunes femmes, le fondateur de Wikileaks a aussitôt rebondi pour clamer son innocence : « Je ne sais pas qui est derrière mais nous avons été prévenus que le Pentagone, par exemple, pensait utiliser des coups bas pour nous détruire. Et on m’a notamment mis en garde contre des pièges sexuels ». Un peu de conspirationnisme pour alimenter la légende naissante ?

Conclusion : Wikileaks ou peut-on vraiment être journaliste à la place du journaliste ?

Sans être non plus méprisé ou ignoré, Wikileaks comme ses succédanés dopés au journalisme participatif, doit malgré tout activer la vigilance éditoriale des journalistes plutôt que l’excitation animale du scoop en puissance. Avec l’avènement de ce type de sites, l’arène de l’information a acquis une autre dimension où plus que jamais, le rôle du journaliste va être fondamental pour soutenir ou bien contrer ces guérilleros de l’information. La profession journalistique dispose là d’une opportunité unique de reconquérir ses lettres de noblesse. Dans le labyrinthe de l’information numérique, le citoyen même averti a de plus en plus besoin d’une expertise éditoriale et d’une vigie éclairante que seuls les journalistes peuvent dispenser avec qualité.

L’enjeu est fondamental. Veut-on désormais d’une société où la diffusion de l’information est l’apanage de « n’importe qui » mué par ses uniques croyances et/ou ses intérêts communautaristes au prétexte quelque peu fallacieux que les médias « officiels » sont aux ordres des dominants et véhiculent une dictature informationnelle ? Veut-on que des groupuscules hurlants mais bien organisés, sous prétexte d’être plus blanc que blanc pour paraphraser le regretté Coluche, s’arrogent le droit de décréter ce qui est information et ce qui ne l’est pas, tout en instillant perversement un climat de peur, de conspiration et de magouille ?

Peut-on raisonnablement croire une seule seconde qu’un citoyen s’auto-bombardant journaliste accomplira un meilleur travail d’enquête qu’un professionnel patenté ? Figure du journalisme français, Edwy Plenel tient à rappeler que générosité et curiosité sont des « conditions nécessaires mais non suffisantes. Elles ne le sont que si sont mises en œuvre toutes les procédures propres à l’exercice professionnel, rigueur, précision, recoupement, opinions contradictoires ».

Malgré l’avalanche de blâmes récurrents, les journalistes restent encore (mais pour combien de temps ?) considérés comme des acteurs influents de la société française dans l’évolution des valeurs et des comportements. Selon une étude publiée en avril 2009 par l’Observatoire des influences, 59% des personnes interrogées leur reconnaissent ce rôle prééminent face aux groupes d’intérêt et aux lobbies même si leur appréciation demeure dans le même temps, teintée d’une forte coloration de défiance.

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Billet initialement publié sur le blog du Communicant

Voir tous nos billets sur Wikileaks, ainsi que notre billet sur les Warlogs, et celui qui revient sur une facette moins connue de la personnalité de Julian Assange.

Crédits Photos CC Flickr : Espenmoe, Biatch0r, Alexcovic, Elliot Lepers.

Pour en savoir plus

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Les Etats-Unis ont peur de leurs terroristes http://owni.fr/2010/08/27/les-etats-unis-ont-peur-de-leurs-terroristes/ http://owni.fr/2010/08/27/les-etats-unis-ont-peur-de-leurs-terroristes/#comments Fri, 27 Aug 2010 15:02:01 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=26361 Disclaimer: “This is not a blockbuster paper”, “ce n’est pas un document de première main”. Telle a été la réaction des officiels américains à la suite de la dernière publication de WikiLeaks, un mémo secret (la classification intermédiaire entre confidentiel et top secret) de la CIA sur la façon dont les États-Unis “exportent le terrorisme”. Quelques jours seulement après l’embrouillamini judiciaire autour de Julian Assange, ces mots lapidaires de l’administration trahissent la réalité de cette première publication post-Warlogs: elle est – relativement – décevante. Mais fallait-il s’attendre à autre chose ?

Sans ouvrir les vannes d’un nouveau scandale dans les couloirs du Pentagone et ceux de la Maison-Blanche, les trois pages publiées par WikiLeaks ne sont pas totalement dénuées d’intérêt. Alors que Barack Obama a décidé d’abandonner la terminologie bushiste “guerre contre la terreur” depuis plus d’un an au profit d’un “opérations internationales contingentées” de facture technocrate, ce mémo vient poser un nouveau regard, interne, sur la doctrine américaine en matière de terrorisme.

Pakistan d’Amérique

Ce court document a été rédigé par la Red Cell, une émanation de la CIA créée sur les décombres du 11-Septembre. A l’instar du Government Accountability Office (la Cour des Comptes américaine), son avis est purement consultatif, ce qui en fait une sorte de think tank interne, chargé de fournir des recommandations aux cadres de l’agence, comme a pu le faire la RAND Corporation en son temps.

Et dans ce résumé NOFORN (Not Releasable to Foreign Nationals: non destiné aux gouvernements étrangers), les experts du renseignement américain insistent sur une dégradation des relations diplomatiques dans l’hypothèse où les États-Unis seraient considérés comme l’un des principaux pourvoyeurs de la planète en matière de bombes humaines et autres candidats au martyr. Pour accréditer cette thèse, la cellule de la CIA cite plusieurs exemples, des militants de l’IRA délocalisés sur le sol américain à David Headley, le Pakistano-Américain qui a joué le facilitateur dans les attentats de Bombay en novembre 2008. “Si les États-Unis étaient considérés comme un ‘exportateur du terrorisme’, les gouvernements étrangers pourraient s’entendre entre eux sur un des accords multilatéraux qui impacteraient la souveraineté américaine”, peut-on lire.

De la rupture des accords d’extradition aux assassinats ciblés en passant par les exfiltrations sur le sol américain, le scénario élaboré par la Red Cell trace les contours d’un pays ostracisé, comme si les États-Unis devenaient soudainement le Pakistan d’Amérique. Invariablement dans le rapport, l’expression “exporter la terreur” ne se départit jamais des ses guillemets. Pourquoi? Parce que cette notion (cette doctrine?) vieille de plus de 25 ans a été élaborée par… l’administration de Ronald Reagan, et perpétuée par ses successeurs. Jusqu’à la fin de son mandat, George W. Bush dénonçait l’Irak comme un “foyer exportateur du terrorisme”.

Directive de 1984

La National Security Archive, une institution indépendante de l’Université George Washington qui passe au crible des documents déclassifiés dans le cadre du Freedom of Information Act, nous rappelle les fondements de cette politique:

“Le 3 avril 1984, le président Reagan a signé [la directive] NSDD 138, Combattre le terrorisme, qui allait bien plus loin que la simple allocation de responsabilités aux différentes agences. La directive en elle-même n’a jamais été publiée, mais un extrait préparé par les archives de la sécurité nationale en divulgue certains éléments – mener des missions de renseignement contre les groupes ou les pays impliqués dans le terrorisme, ou étendre les sanctions à l’encontre des organisations et États qui supportent ou exportent le terrorisme.”

Mais celui qui en parle le mieux, c’est encore Ronald Reagan lui-même (ou ses conseillers diplomatiques de l’époque):

“Ces dernières années, une nouvelle forme de terrorisme particulièrement inquiétante s’est développée: l’emploi de la terreur par des pays étrangers [...] Sont également perturbants l’entraînement, le financement et le soutien logistique à des groupes terroristes. Ces activités sont extrêmement sérieuses et représentent une source exponentielle de danger pour nous, nos amis et nos alliés, en même temps qu’un défi pour la politique étrangère de l’Amérique.”

Ce défi est toujours d’actualité pour Barack Obama, à ce détail près: la peur a changé de camp.

Illustration CC FlickR par Hazel Motes, sarihuella

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Julian Assange et démons http://owni.fr/2010/08/24/julian-assange-et-demons/ http://owni.fr/2010/08/24/julian-assange-et-demons/#comments Tue, 24 Aug 2010 11:46:09 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=25890 Dans sa quête perpétuelle de visibilité, voilà le genre de publicité dont se serait bien passé Julian Assange. Samedi, quelques heures après avoir émis un double mandat d’arrêt à l’encontre du fondateur de WikiLeaks pour viol et agression, la justice suédoise a subitement fait machine arrière. Interrogée sur Al-Jazeera, Karin Rosanger, une porte-parole du parquet, a défendu une “procédure normale” qui a fait tiquer le journaliste de la chaîne qatarie. “N’aurait-il pas été plus logique d’essayer de contacter l’accusé directement?”, lui a-t-il demandé. Malgré l’insistance du présentateur, la représentante du procureur a refusé de fournir les détails qui ont étayé l’accusation scandinave.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Forcément, ce flou cinétique (de la justice ou des whistleblowers, on ne sait plus très bien qui dégaine le plus vite) vient faire le lit des néo-conspirationnistes de tous poils, qui voient la main de la CIA derrière. Les petits rigolos du web auraient même une expression idiomatique pour synthétiser l’état d’esprit de certains soutiens de WikiLeaks: “Coincidence? Je ne crois pas.”

Assange, soucieux de ne pas se battre contre des moulins à vent, préfère rester mesuré. Dans un entretien publié dimanche par le tabloïd suédois Aftonbladet et cité par Le Monde, il affirme [ne pas avoir] de preuve directe que cela vient des services secrets américains ou autres”, une hypothèse “absurde” pour le Pentagone. En revanche, le boss de WikiLeaks a reconnu qu’il avait été “mis en garde contre des pièges sexuels”.

Le retour du piège à miel?

Soucieux de ménager ses inimitiés au sein de l’administration américaine – il a parfaitement compris les rouages du soft power, comme la perspective d’une nouvelle forme de lobbying -, il se garde bien d’accuser directement les agences de renseignement. Pourtant, à y regarder de plus près, la notion de “piège sexuel” charrie son lot d’allusions à une guerre froide un peu chaude, et semble aller de pair avec la petite histoire de l’espionnage. Outre-Atlantique, il existe même un terme pour désigner cette méthode non conventionnelle: “honey trap”, littéralement “piège à miel”. Dans le vocable d’ex-hacker d’Assange, c’est un peu comme s’il s’était fait prendre dans un “honey pot”, un pot de miel destiné à piéger les pirates.

Il y a quelques mois, Phillip Knightley, journaliste vétéran spécialiste des espions, dressait sur Foreign Policy un panorama des cas les plus célèbres, de Mordechai Vanunu à Mata-Hari. Il prodiguait en outre quelques conseils à ceux qui pourraient être la cible de telles pratiques, de nouveau populaires chez nos voisins russes par exemple:

- Ne suivez pas cette fille
- N’acceptez des faveurs de personne
- Méfiez-vous des médias
- Soyez doublement vigilant si vous êtes homosexuel
- [Méfiez vous de] toutes les femmes seules (comme au temps de la RDA et de la Stasi)

Poèmes crypto-érotiques

Coucou...

D’une prudence extrême quand il s’agit de protéger son travail, expert en matière de cryptage, rompu aux exigences du nomadisme (un portrait de LEXPRESS.fr rappelle qu’il a fréquenté trente-sept écoles et six universités pour échapper à un père membre d’une secte New Age), Assange aime aussi les femmes. Sans se perdre dans des conjectures douteuses dont personne ne connaît ni les tenants ni les aboutissants, on peut aisément imaginer qu’il ait négligé le conseil n°1, à moins qu’il ne s’agisse du n°5.

Récemment, le site australien Hungry Beast a exhumé le vieux site de Julian Assange, Interesting Question, qu’il a alimenté entre 2006 et 2007. Entre une réflexion métaphysique sur le concept d’Etat et une élégie à Kurt Vonnegut, il y déclame son amour des femmes dans des poèmes crypto-érotiques ou des textes à la frontière du mysticisme:

J’ai toujours trouvé les femmes prises dans l’orage attirantes. Peut-être s’agit-il d’un fantasme universel, destiné à justifier mon inclination pour une jolie fille que je connaissais mal, pour voir en elle des pensées lascives à mon sujet [...] [pour la voir] se tenir habillée dans sa douche avant que la pluie et le vent ne frappent son corps alors qu’elle s’approche timidement de ma porte, et que je ne puisse pas la repousser

Dans le même billet, il se demande si les hommes ne sont pas à la “manipulation romantique des femmes que ce que le krill est aux baleines”. Et de décrire son amour pour une accro au café, la façon dont il s’étalait de l’arabica moulu sur les épaules, ou son rêve de devenir une tasse, une demi-tasse, le quart d’une tasse. Pour autant, il serait bien mal avisé de tirer des conclusions hâtives au sujet d’Assange, sur la base de son appétence pour la gent féminine ou de son fétichisme des boissons chaudes.

“Je n’ai jamais eu, ni en Suède ni dans aucun autre pays, de relation sexuelle avec une personne d’une manière qui ne soit pas conforme à la volonté des deux”, a-t-il fermement déclaré. Dans les colonnes de The Independent, une des deux jeunes filles qui aurait porté plainte contre l’échalas australien livre anonymement une version sensiblement différente. “La responsabilité de ce qui s’est passé pour moi et l’autre fille est celle d’un homme qui a une perception faussée de la femme et qui n’aime pas qu’on lui dise non.”

Les semaines qui viennent apporteront peut-être des réponses à ce nouveau brouhaha médiatique, mais pour l’heure, faisons valoir la présomption d’innocence, et tenons-nous en à ceci: Julian Assange n’aime pas les rapports non consentis. Sauf quand ceux-ci sont en PDF.

Crédits Photos CC FlickR par adamfeuer, espenmoe

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Comment la CIA et le FBI utilisent les réseaux sociaux http://owni.fr/2010/08/19/comment-la-cia-et-le-fbi-utilisent-les-reseaux-sociaux/ http://owni.fr/2010/08/19/comment-la-cia-et-le-fbi-utilisent-les-reseaux-sociaux/#comments Thu, 19 Aug 2010 06:30:27 +0000 Tim Wayne (EFF) http://owni.fr/?p=25010 Alors que les récentes controverses sur les paramètres de confidentialité de Facebook se calment peu à peu, il est facile d’oublier que beaucoup d’informations personnelles sont disponibles partout ailleurs sur Internet. Mais le gouvernement américain, lui, s’en souvient très bien.

Les réseaux sociaux, les nouveaux informateurs

L’Electronic Frontier Fundation (EFF) s’est récemment procuré des documents de la CIA et du FBI, mettant en évidence la capacité du gouvernement américain à parcourir non seulement les réseaux sociaux, mais aussi à fouiller dans tous les recoins d’Internet. Ces documents ont été obtenus dans le cadre d’une procédure lancée en vertu du Freedom of Information Act (FOIA) dans laquelle l’EFF, avec l’aide de la Samuelson Clinic [Une organisation spécialisée dans le droit de la technologie, NdT], a recherché des informations concernant les procédures et les méthodes des agences gouvernementales qui font de la veille ou réalisent de véritables enquêtes sur les réseaux sociaux.

Prouvant la capacité du gouvernement à recueillir en ligne des informations d’importance, plusieurs documents (pdf) de la CIA abordent la question d’un programme mené par cette agence, l’Open Source Center. Ce centre, mis en place en 2005, a collecté des informations disponibles publiquement sur Internet, notamment sur les blogs, les chats et les réseaux sociaux, en plus de scruter les programmes radio et de télévision.

Le site de l’Open Source Center, opensource.gov, se présente lui-même comme le “premier fournisseur de renseignements stratégiques open source. Ce centre est accessible à près de 15 000 fonctionnaires au niveau local, étatique et fédéral et offre toute une gamme de produits et services, allant de rapports et d’analyses sur des informations publiques datant du milieu des années 90, jusqu’à des rapports et des clips vidéo en passant par des traductions, des media maps ou encore des analyses de sujets plus sensibles.

Scruter le net à la recherche des terroristes

Dans un autre document (pdf), les emails du FBI révèlent l’intérêt de cette agence pour le Dark Web Project. Ce programme de l’université de l’Arizona, a pour vocation decollecter et d’analyser systématiquement tous les contenus générés par les terroristes sur le web. Des informations contenues dans ce document indiquent également que le projet Dark Web est particulièrement efficace pour rechercher dans les forums Internet et trouver des sites cachés dans “les recoins d’Internet“.

En plus d’être capable de rechercher du contenu sur Internet, le projet Dark Web a développé un outil appelé Writeprint, qui prétend aider à identifier les créateurs de contenus anonymes en ligne. Les emails du FBI révèlent aussi le projet de transposer les outils du Dark Web Projet pour le compte des “analyses opérationnelles et de l’exploitation de données” du FBI, “y compris sur les forums sur Internet“.

Alors que l’EFF et la Samuelson Clinic continuent de rechercher des informations concernant les modalités d’application de la loi utilisées sur Internet, nous espérons en apprendre plus sur la manière dont le gouvernement utilise ces informations et plus spécifiquement combien de temps il prévoit de les garder.

En revanche, il est clair que pendant ce temps, les enquêteurs du gouvernement collectent bon nombre d’informations à travers Internet en général et au-delà de l’application de la loi stricto sensu. C’est aussi un bon rappel que si les réseaux sociaux et les autres sites Internet ont des paramètres de confidentialité, Internet n’en a pas.

Nous vous tiendrons au courant de la prochaine diffusions de documents ici.

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Billet initialement publié sur l’Electronic Frontier Fundation, une organisation de défense des droits sur Internet, sous le titre “Government uses social networking site for more than investigation“.

Traduction / adaptation : Martin Untersinger.

Crédit photo CC Flickr : Dunechaser, Leo Reynolds.

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