[ITW] «La Russie est un état féodal»

Le 5 mai 2011

Vitaly Arkhangelsky revient sur le contentieux qui l'oppose aux oligarques proches du Kremlin. Entretien OWNI.

A 36 ans, Vitaly Dimitrievich Arkhangelsky est déjà un vieux routier des affaires russes. Aujourd’hui réfugié sur la Côte-d’Azur à cause d’un différend qui l’oppose à l’oligarque Sergueï Pougatchev, il explique ici sa lente descente aux enfers de la politique russe.

Pourquoi avoir alerté le président Medvedev de votre situation et dénoncé sur son blog la corruption qui sévit à Saint-Pétersbourg?

A posteriori, je pourrais me dire que c’était une erreur. Mais à l’époque j’étais convaincu que les réformes que le président avait promues auraient pu avoir un effet sur le système judiciaire et que je pourrais avoir un procès équitable. Rien de cela n’était vrai et je l’ai progressivement compris. J’ai fait tout ce qui était possible pour me défendre, défendre mes droits devant les tribunaux. Mais à chaque fois les instances assujetties aux autorités de Saint-Pétersbourg annulaient les décisions des deux ou trois tribunaux qui m’étaient favorables.

« Des menaces directes et physiques en France »

J’ai été naïf et j’ai cru qu’une jeune personne avec mon cursus pouvait changer la situation. Le seul enseignement que j’ai pu en tirer est que la Russie est un état féodal. Le gouvernement central ne contrôle pas la situation dans ses régions et ne se préoccupe que de l’argent des ressources énergétiques. Lors de la manifestation du 1er mai, le président du conseil de la Fédération (chambre haute du parlement russe, Ndlr), M. Sergueï Mironov a officiellement déclaré qu’il y avait urgence à ce que Saint-Pétersbourg change de gouvernement et de gouverneur…

Vous dénoncez la corruption, le gouverneur de Saint-Pétersbourg, le climat délétère des affaires en Russie. Menez-vous un combat personnel?

Au départ, je ne pensais qu’à mon propre cas. Mais je suis devenu un symbole parce que j’ai été le premier patron de PME russe à avoir le courage de résister à cette oppression et à dénoncer le dévoiement du ministère de l’Intérieur, du gouvernement local et des forces spéciales Omon. J’ai certainement été victime de mes idées politiques, qui se résument à une volonté de lutter contre la corruption en Russie. D’autres ont de telles idées, à l’instar de Evgeny Chichvarkin, Andrey Korchagin, Alexey Navalny… etc.

Sergueï Mikhailovitch Mironov, président du Conseil de la Fédération.

Elles sont d’autant plus importantes que Pierre le Grand, le fondateur de Saint-Pétersbourg, a voulu faire de la ville une vitrine de la Grande Russie pour l’Europe, et cette vitrine présente désormais le pire aspect de notre pays. Le gouvernement local ne cherche pas à rendre notre ville attractive pour les investisseurs. Leur seule préoccupation est le profit à court terme, même par des voies illégales.

De mon côté, mon parcours et mon activité en attestent, j’ai toujours essayé d’oeuvrer au développement de l’économie de mon pays, de sa prospérité et d’y attirer le gratin de la finance mondiale.

Croyez-vous encore avoir un avenir en Russie?

Mon entreprise dans le port de Vyborg continue de fonctionner et j’essaie de la diriger à distance. La Bank Vozrozhdenie continue de soutenir mes activités. Si la situation politique à Saint-Pétersbourg change, bien sûr je pourrais revenir. Mais je ne veux pas aller en prison comme M. Khodorkovsky parce que des délits imaginaires me sont imputés. J’ai souffert de menaces directes ou physiques en France. Des messages très clairs m’ont été adressés, ainsi qu’à mes avocats, me prévenant que le ministère de l’Intérieur préparait de nouvelles plaintes contre moi. Et ils ont prévenu mes conseillers que je ne pourrai plus jamais me rendre en Russie et avoir une vie normale, que je croupirai en prison le reste de ma vie si je revenais. Ils ont également menacé le personnel qui continue à travailler pour mes compagnies.

Où en sont vos procédures ?

Les procédures en Russie sont sans espoir. Au vu de la corruption qui règne, des pressions constantes sur la justice, de la dictature qui y existe, il n’y a aucune chance que j’ai droit à un jugement équitable. J’ai engagé des procédures en Europe et j’espère qu’elles aideront à changer la donne.

« Plus de 500 000 compatriotes ont fui la Russie »

Avez-vous rencontré des compatriotes dans une situation similaire?

Plus de 500 000 compatriotes (dont 90 000 font l’objet d’un mandat Interpol) ont fui comme moi la Russie. Ils ont prospéré dans une ville, l’ont enrichie, développé son économie en espérant un développement démocratique et un état de droit. Mais dès que leurs affaires ont eu un certain succès, ils ont été l’objet de menaces ou on leur a tout bonnement conseillé de vendre leurs entreprises pour quasiment rien et de s’en aller.

Grâce à Internet, nous avons la chance de pouvoir communiquer entre nous, de partager nos opinions, ce qui n’était et n’est toujours pas possible en Russie. Tous n’ont pas résisté. Beaucoup ont préféré laisser tomber et s’enfuir, oublier ces jours terribles et démarrer une nouvelle vie ailleurs. L’histoire russe est remplie de vagues d’émigrations et nous en vivons une nouvelle. Mais le temps passe et les gens commencer à penser à deux questions classiques de Dostoïevski: « Qui est responsable, que faire »?

Il est important de comprendre l’ampleur du phénomène. Que vous dirigiez 1000 personnes ou une boulangerie, tant que cela fait de l’argent facile pour le pouvoir politique, ou seulement pour ceux qui ont une arme, vous pouvez être une cible du racket.

Je constate que tous ces émigrés sont les réels entrepreneurs de la Russie actuelle, ceux qui ont essayé de créer de la richesse. Se contenter des réserves pétrolières et gazières ne suffira pas à développer notre pays.

Mon grand-père, Leonid Kantorovitch, est le seul russe à avoir eu le prix Nobel d’économie et il a montré au monde que même dans des économies fermées comme l’Union soviétique, il y a une voie pour le développement. Je dis à ceux qui sont restés en Russie et à ceux qui vivent désormais à l’étranger qu’une autre vie est possible, et j’essaie de montrer comment les choses pourraient changer.

Avez-vous des soutiens en Russie?

Très peu. Tous mes amis me soutiennent, mais discrètement. Ils sont très effrayés à l’idée d’être arrêtés pour leur soutien à un “criminel en fuite” comme moi, ou de simplement perdre leur job. J’ai eu un ami fonctionnaire de Saint-Pétersbourg qui a essayé de me prouver qu’il y avait un propriétaire à Saint-Pétersbourg et que je ne pouvais rien faire ici. Je lui ai dit que le vieux principe français “L’état c’est moi” n’existait plus en Europe et que je me battrai contre ce principe. J’essaie de continue mon business en Russie, malgré les barrières et les incompréhensions de mes anciens amis et collègues.

Pourquoi avoir choisi la France?

Ma famille a choisi la France bien avant que nous émigrions. Mes arrières grand-parents faisaient partie de la noblesse russe et ont été très influencés par la culture française. Nous avons souvent voyagé en France au cours des dix dernières années.

« La France doit comprendre la situation de mon pays »

Historiquement, la France reste le pays de la noblesse et de la culture russe. Il y a seulement deux cents ans, la noblesse parlait français et pas russe. Mais nous avons perdu cela il y a un siècle, avec l’ère soviétique. Nous voulions revenir et redécouvrir ces trésors que votre pays essaie de sauver. Nous avons acheté un appartement, nos enfants vont à l’école catholique, même si nous nous considérons comme des orthodoxes. Je travaille 15 heures par jour alors je ne suis pas “un nouveau russe”. Culturellement, la France est un merveilleux pays et nous voulions que nos enfants apprennent la langue, la littérature et la culture française.

Quel est votre statut aujourd’hui?

J’avais une carte de séjour avant de faire une demande d’asile en France et je n’ai aucun problème avec l’immigration. Je n’ai pas fait une demande d’asile pour pouvoir rester en France, mais pour que la France comprenne la situation dans mon pays.

Mes enfants vont à l’école, ma femme a appris le français plus vite que moi. Quant à la procédure d’extradition, j’essaie de montrer que les demandes des autorités russes ne sont pas compréhensibles. La justice française a d’ailleurs demandé des clarifications à son homologue russe, qu’elle n’a toujours pas eues…

Comprenez-vous le refus de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) de vous accorder le droit d’asile?

Non. Je pense qu’ils n’ont pas mesuré le sérieux de la situation ou alors il s’agit d’une décision politique. Nous avons fait appel et nous pourrons sûrement mieux nous exprimer devant la juridiction d’appel. Mes avocats n’ont même pas été entendus par l’Ofpra. Il y a dû y avoir une sorte d’instruction donnée par le ministère français de refuser le plus de cas possibles de demandeurs d’asiles, vu que le ministre de l’Intérieur veut réduire l’immigration et que les demandeurs d’asiles sont dans leurs statistiques.

Je ne peux pas accepter la décision de l’Ofpra qui argue que, comme j’ai obtenu gain de cause dans deux ou trois juridictions, il y a des procès équitables en Russie. L’Ofpra va à l’encontre de tous les rapports d’Amnesty International et a oublié les cas de la cour européenne des droits de l’homme. Mes avocats sont confiants dans la procédure.

Photo : FlickR CC Jenny Poole ; Xavier Monnier ; Presidencia de la Republica del Ecuador ; Andrey Korchagin.

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